Pour la démocratisation des Nations unies Si la démocratie ne garantit pas toujours un bon gouvernement, l’absence de démocratie est toujours un signe de mauvais gouvernement
La présente note a été réalisée dans le cadre de la 4° Semaine mondiale d’action pour un Parlement mondial, sur la base de l’ouvrage du fédéraliste canadien Dieter Heinrich, Un projet et une proposition pour la démocratisation des Nations unies [1]. Ce texte, réédité depuis avec une préface de Andreas Bummel, coordinateur de la Campagne pour une Assemblée parlementaire des Nations unies, par le KDUN (Comité pour des Nations unies démocratiques) de Francfort a été le premier texte de la campagne mondiale pour l’APNU soutenue en particulier par le World Federalist Movement, l’UEF Europe et l’UEF France.
Le problème
Tandis que les États font de plus gros efforts de coopération internationale que par le passé et font de plus en plus appel à l’ONU pour ce faire, ils semblent aussi indifférents qu’auparavant au besoin de réels changement du système en faveur de l’accroissement de sa souveraineté et de son autorité.
Le problème crucial de la construction d’un ordre international plus efficace est la redistribution de la souveraineté, par la limitation de celle des États nationaux et l’accroissement de celle d’institutions mondiales démocratiques.
La capacité des responsables nationaux à être également des décideurs au plan mondial est sérieusement compromise par l’exercice concomitant de leurs responsabilités au plan intérieur. Les responsables politiques nationaux, même les plus consciencieux, agissent dans un cadre de pensée limité : en vertu de leur fonction, ils sont poussés à promouvoir et à défendre les intérêts nationaux avant les intérêts mondiaux.
L’exemple de la Communauté européenne :
La Communauté européenne est l’exemple le plus instructif, dans les temps récents, d’une évolution progressive dans un sens supranational d’une organisation qui, à l’origine, unissait des gouvernements nationaux. Au début des années 80 la Communauté européenne était en pleine crise.
Ses institutions obsolètes et, principalement, son mécanisme décisionnel avaient fini par entraîner un état de paralysie totale dénommé « euro-sclérose ». Douze gouvernements souverains, chacun avec son droit de veto, se montraient incapables de prendre des décisions et l’évolution même de la Communauté était bloquée.
L’inertie des gouvernements ne fut finalement dépassée que grâce à la pression exercée de l’extérieur par les citoyens. Les organisations de citoyens de toute nature, y compris les milieux économiques qui faisaient campagne pour « l’idée européenne », avaient un allié puissant dans une autre organisation des citoyens qui s’est avérée capable, travaillant à l’intérieur des structures communautaires, de fournir l’élan nécessaire au changement : il s’agissait du Parlement européen.
Le Parlement européen, composé au début de parlementaires nationaux, a été élu au suffrage universel direct en 1979. Bien qu’il continuât d’avoir peu de pouvoirs, il était une chambre d’hommes politiques dont la mission était de penser l’Europe.
C’est le Parlement européen qui donna l’élan pour le changement institutionnel. Les gouvernements avaient conscience de la nécessité d’un changement, mais semblaient paralysés, incapables d’agir jusqu’à ce qu’ils soient aiguillonnés par l’effort constitutionnel du Parlement européen.
Les Nations unies elles aussi auront besoin d’une Assemblée parlementaire pour intervenir dans le processus de leur transformation. Cela pourrait bien être la leçon la plus importante à tirer de l’expérience européenne par tous ceux qui travaillent aujourd’hui en faveur de la réforme de l’ONU.
La transformation :
La création d’une Assemblée parlementaire de l’ONU serait relativement facile et ne nécessiterait pas de modification de la Charte de l’organisation. Une fois créée, ce serait à elle de s’engager pour sa transformation par les gouvernements en un véritable parlement dont les membres seraient un jour élus directement.
Dès la création de l’Assemblée la situation s’améliorera. Les associations de citoyens ne devront plus alors se battre seules pour son développement ultérieur. Des alliés puissants et de nouveaux éléments favorables interviendront dans la lutte.
On peut s’attendre à ce que ses membres eux-mêmes jouent un rôle majeur dans son évolution – par des amendements à la Charte – en recherchant à la transformer en « organe principal » parallèle à l’Assemblée Générale. Avec leur expérience politique, leur accès aux plus hautes sphères des gouvernements nationaux, leur crédibilité auprès de l’opinion publique et des médias, les membres de l’Assemblée des Nations unies pourront devenir, comme nous l’enseigne l’exemple de l’Europe communautaire, le moteur du processus de transformation de leur assemblée en un parlement réel et élu au suffrage universel direct.
L’Assemblée parlementaire de l’ONU, portée par le soutien des citoyens, renforcée par sa propre légitimité, deviendra son meilleur allié, le moteur de sa propre évolution. Il serait excessif d’écrire qu’à ce point les associations de citoyens n’auront plus grand-chose à faire et que le processus une fois enclenché continuera de lui-même, mais la vérité va dans ce sens.
Un réel Parlement :
Évidemment, la fonction d’une assemblée parlementaire est, à long terme, d’évoluer vers un réel Parlement des Nations unies avec le pouvoir de légiférer.
Il est cependant improbable qu’elle ait dès l’abord des pouvoirs formels. Nous pourrions envisager qu’elle ait, comme l’Assemblée Générale, la possibilité d’élaborer et voter des résolutions.
Officiellement elles seraient considérées comme des recommandations et ne lieraient pas plus les gouvernements que les résolutions de l’Assemblée Générale mais elles seraient un moyen de persuasion morale et aideraient à former un consensus politique mondial sur certains thèmes.
La première bataille :
Il y a de bonnes raisons d’espérer que le soutien nécessaire à une Assemblée parlementaire des Nations unies puisse être obtenu des gouvernements, tout particulièrement si les associations de citoyens sont capables d’organiser une campagne internationale efficace en ce sens.
Évidemment, le projet aura ses opposants. Il est donc important d’exprimer cette idée sous la forme la plus persuasive, la moins vulnérable aux attaques et la plus à même de permettre à ses partisans au sein des Nations unies et parmi les ministres des Affaires étrangères du monde entier de la défendre, y compris au sein de milieux très conservateurs.
Les perspectives de succès augmentent si la proposition apparaît aussi simple et, du point de vue des gouvernements, aussi inoffensive que possible.
La lutte avec les gouvernements sur le fait de savoir si une telle institution, aussi chargée d’implications que l’Assemblée parlementaire des Nations unies, même sous sa forme la plus simple, devrait ou non voir le jour, sera probablement la plus dure des batailles que nous devrons affronter.
Une économie fausse et ridicule :
Les gouvernements nationaux dépensent quotidiennement deux milliards de dollars pour leurs besoins militaires, tout en se lamentant sur le manque de fonds pour les problèmes mondiaux.
Refuser de dépenser pour une amélioration des Nations unies est une économie fausse et ridicule.
Dans un monde dépourvu d’un système de sécurité adéquat les États cherchent à se défendre seuls par des moyens militaires nationaux à un coût annuel approchant les mille milliards de dollars, c’est-à-dire 1000 fois plus que le budget de base de l’ONU !
La première phase :
Même dans la première phase de son existence, avec un rôle largement symbolique et une fonction exclusivement consultative, une assemblée parlementaire aurait la possibilité de modifier profondément les relations internationales.
Une Assemblée parlementaire des Nations unies aurait un potentiel important, même en tant qu’assemblée consultative, pour la transformation de l’ONU en une organisation plus efficace.
Dès sa naissance elle pourrait en effet :
- encourager la coopération internationale ;
- élaborer des traités et des conventions ;
- organiser un soutien à l’ONU dans les capitales nationales ;
- encourager les transformations démocratiques dans les pays du monde ;
- alimenter une nouvelle éthique mondiale en symbolisant l’idée du monde comme une seule communauté.
Elle fournirait avant tout un élan, un levier dans le processus complexe de réforme de tout le système des Nations unies tout en le supervisant.
La stratégie :
Ce serait cependant une erreur fatale que d’exiger l’élection directe autrement que comme un but pour l’avenir. Des élections mondiales, même si elles sont souhaitables au plan de la démocratie, signifieraient recueillir les opinions de milliards d’individus. Un tel processus électoral serait en outre chargé d’inconnues que les politiciens et les bureaucrates détestent.
Bien qu’il n’y ait aucune raison technique pour que ce soit irréalisable, ce serait en toute logique complexe, onéreux et difficile à mettre en place pour une institution nouvelle dont les gouvernements ne ressentent pas la nécessité immédiate.
Insister, dès le début, pour avoir un parlement à part entière, élu au suffrage universel direct, dans des élections mondiales, signifierait se condamner à l’échec en offrant aux gouvernements la meilleure excuse pour ne rien faire.
Sans s’opposer réellement au projet, ils pourraient alors se perdre dans des questions techniques secondaires sur son coût et sa faisabilité. Une assemblée élue directement doit rester notre but, mais si nous confondons notre objectif final avec la stratégie exigeant tout, tout de suite, nous risquons de retarder le jour où les gouvernements pourront être convaincus de faire le premier pas vers sa réalisation.
Nous avons donc besoin d’une stratégie dont la première étape puisse être atteinte même dans un contexte de faible volonté politique.
C’est sur ce point crucial que le Parlement européen nous donne les leçons les plus importantes. Il s’est transformé par étapes en une assemblée directement élue, grâce à un processus évolutif, commençant comme une assemblée parlementaire composée de membres nommés par les parlements nationaux des Etats membres.
Un avantage de baser, initialement, la représentation à l’Assemblée des Nations unies sur les parlements nationaux serait d’engager les parlementaires comme alliés dans la lutte, pour sa création puis pour aider à établir la volonté politique nécessaire à son évolution ultérieure. Le fait d’être parlementaire des Nations unies galvaniserait nombre de ces hommes politiques qui, une fois chez eux, se feraient les avocats de l’ONU y compris pour renforcer et démocratiser son assemblée parlementaire.
Un organe consultatif :
Il est possible de créer une assemblée parlementaire au sein des Nations unies selon une procédure relativement simple sans avoir à suivre la voie, politiquement ardue, qui consiste à amender la Charte de l’organisation.
L’Assemblée Générale, dans le cas de l’article 22, peut l’établir comme « organe subsidiaire ». Son rôle serait initialement celui d’un organe consultatif avec pour mission d’améliorer les communications entre les Nations unies, les parlements nationaux, et l’opinion publique mondiale afin de contribuer à une meilleure appréciation du travail de l’ONU.
C’est le type de motivation auquel les gouvernements seraient le plus sensibles pour créer une telle assemblée. Une fois sa crédibilité établie, au fur et à mesure que les gouvernements se sentiraient plus à l’aise à son égard, que ses propres racines institutionnelles se renforceraient et que son influence informelle se développerait, ses pouvoirs formels augmenteraient aussi.
D’autres approches :
a) Par l’Assemblée Générale :
Proposer que l’assemblée parlementaire remplace l’Assemblée Générale ou assume l’une quelconque des fonctions qui lui sont actuellement dévolues transformerait instantanément tous les diplomates des Nations unies en adversaires alors que leur aide nous est nécessaire pour introduire l’idée dans l’Assemblée Générale.
Celle-ci, de toute façon, est une institution utile en elle-même et a un rôle à jouer parallèlement au Parlement comme une sorte de « Chambre des gouvernements nationaux ».
Si nous gardons l’exemple européen, l’Assemblée Générale est l’équivalent, avec des différences, du Conseil des ministres et de ses fonctions intergouvernementales.
b) Par l’Union interparlementaire :
On se demande fréquemment s’il ne serait pas plus rapide et facile, pour créer une Assemblée parlementaire de l’ONU, de transformer l’Union interparlementaire.
Cependant, l’Union interparlementaire, même si elle cherchait à travailler en contact de plus en plus étroit avec les Nations unies, ne pourrait en devenir une institution qu’à sa propre initiative, et rien ne laisse aujourd’hui penser qu’elle ait un quelconque intérêt à s’institutionnaliser de cette manière.
Une telle transformation reviendrait à détruire une organisation qui réussit pour en créer une autre.
Les deux organismes pourraient être utiles. Tandis que l’Assemblée parlementaire des Nations unies se mettrait en place, l’Union interparlementaire développerait son rôle propre et unique en tant qu’organisation interparlementaire, rôle bien différent de celui d’une chambre parlementaire et potentiellement aussi important pour l’avenir.
c) Par une agence spécialisée :
Il y a une autre approche possible pour créer une assemblée parlementaire des Nations unies, encore plus graduelle et pour cela encore plus facile à mettre en oeuvre. Cette approche consisterait à envisager une assemblée parlementaire rattachée à une organisation du système de l’ONU plutôt qu’aux Nations unies elles-mêmes.
Là encore il y a un précédent dans l’histoire européenne : l’Assemblée parlementaire qui fut le précurseur du Parlement européen fut d’abord rattachée à une agence spécialisée, la Communauté européenne du charbon et de l’acier.
Plutôt que de chercher à l’incorporer dans une agence existante de l’ONU (UNESCO, UNICEF, etc.), ce qui soulèverait les mêmes difficultés que de la rattacher au corps principal des Nations unies elles-mêmes, nous pourrions prévoir de la mettre en place comme une composante d’une quelconque nouvelle future autorité ou agence internationale. Il est très vraisemblable que soient créées dans l’avenir de nouvelles agences pour tel ou tel problème et très probablement au moins une agence mondiale de l’environnement.
Le cas des États non démocratiques :
Pour traiter le cas des États non démocratiques, on peut, par exemple, créer l’assemblée de telle manière que ces pays soient exclus de toute participation.
Je ne suis toutefois pas convaincu que ce soit la meilleure solution, au moins dans une période initiale où le rôle de l’Assemblée parlementaire des Nations unies sera largement consultatif et symbolique.
En accueillant parmi ses membres des pseudo-parlementaires, l’Assemblée pourrait exercer sur eux une influence démocratique et deviendrait ainsi une force permettant de faire progresser la démocratie dans les États non démocratiques. Certains d’entre eux, arrivés en porte-parole dociles de leurs gouvernements, pourraient bien se transformer en avocats des positions de l’Assemblée (qui pourrait même avoir besoin d’étudier des mesures de protection directe à leur égard lorsqu’ils seraient menacés par leurs gouvernements).
Par anticipation, certains États non démocratiques pourraient résoudre le problème pour nous en refusant de permettre à leurs parlementaires de participer aux travaux de l’Assemblée de peur qu’ils ne soient infectés par la contagion démocratique. Cela, également, aiderait à faire avancer la cause de la démocratie en sapant encore plus la légitimité de ces gouvernements aux yeux de la communauté mondiale et de leur propre opinion publique, accentuant la pression pour un changement dans ces États.
À la proportionnalité décroissante :
L’attribution d’un siège au minimum à chaque pays, quelles que soient sa taille et sa population, donnerait aux citoyens des petits pays une représentation disproportionnée.
Un problème encore plus important se pose avec les pays les plus importants ; la Chine à elle seule recevrait environ 20% des sièges.
Une alternative serait de répartir les membres selon une proportionnalité décroissante, c’est-à-dire avec des tranches de populations de plus en plus importantes pour toute attribution d’un nouveau siège à chaque État. Les plus petits pays auraient un représentant, les plus grands seraient limités à 10 ou 20 sièges. Il y a là de multiples formules possibles.
Il n’y a probablement pas de solution parfaite ; mais une solution acceptable serait probablement de partir de ce modèle – avec échelle décroissante – tant que l’assemblée dans sa première étape serait composée de représentants des parlements nationaux, et d’évoluer vers un modèle de représentation proportionnelle à la population lorsque l’assemblée deviendrait élue au suffrage universel direct.
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Les questions sur lesquelles les Nations unies seront souveraines devront être limitées constitutionnellement à des sphères d’intérêt de caractère international ou global.
En d’autres termes, la souveraineté serait répartie entre deux niveaux de gouvernement, mondial et national, chacun d’eux étant souverain dans sa propre sphère de compétences – telle est bien l’essence du système fédéral.
Dans le fédéralisme, l’État national non seulement perdure mais se voit renforcé dans sa sécurité et dans sa capacité à gouverner ses propres affaires.
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