Immigration : ode pour un vrai plan d’action européen

Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.

, par Marion Larché

Immigration : ode pour un vrai plan d'action européen

2,7 millions d’euros versés par la Grande-Bretagne pour la construction d’un mur visant à empêcher que les migrants rejoignent le port de Calais ; 3 milliards d’euros – auxquels devrait encore s’ajouter un montant de 3 milliards d’euros – versés par l’UE suite à l’accord avec la Turquie entrepris le 18 mars dernier. Ces chiffres vertigineux ont de quoi attirer l’attention, non pas en raison de l’objectif de solidarité et de l’ambition humanitaire affichés dans les décisions politiques auxquelles ils sont attachés, mais plutôt en raison de l’absurdité que représente l’allocation de tels budgets pour des mesures tout aussi décevantes qu’inefficaces.

Adoptées par des acteurs différents et dans un contexte distinct, ces mesures ont néanmoins en commun de refléter la vision commune de la gouvernance des migrations qui parcourt aujourd’hui tout aussi bien la sphère européenne que celle étatique : la prédominance de l’approche sécuritaire, doublée du mécanisme de décharge de responsabilité, au détriment de la mise en place de politiques d’accueil et de lutte contre l’immigration irrégulière efficaces. Si les politiques nationales constituent souvent la cible privilégiée des critiques les plus virulentes, l’accord UE-Turquie invite à asseoir l’Union sur le même banc des accusés que ceux qui œuvrent pour une externalisation accrue de la politique d’asile.

« Tu nous as bannis de la Grèce entière, forcés de chercher asile à l’autel des Dieux », s’écrie Alcmène dans Les Héraclides d’Euripide. Avec quelques siècles de décalage, et loin de l’imaginaire des dramaturges grecs, c’est cette même issue – pour ne pas dire « impasse » – qu’offre l’accord de réadmission UE-Turquie aux demandeurs d’asile. Pour rappel, cet accord, qui vise à réduire la migration vers l’Europe, prévoit, entre autres, le renvoi des migrants en situation irrégulière ou qui ne peuvent bénéficier d’une protection internationale de la Grèce en Turquie ainsi que le versement de 3 milliards d’euros par l’UE pour aider à la gestion des réfugiés en Turquie. Or on ne peut se satisfaire de telles mesures qui, loin de constituer un « plan d’action » – c’est le terme même employé pour désigner cet accord – matérialisent plutôt l’inefficacité et l’inaction patentes de l’Union dans un contexte humanitaire de plus en plus alarmant.

Cet accord, en faisant peser davantage sur la Turquie la gestion des flux migratoires, ne solutionne rien. Au contraire, celui-ci transfère, voire aggrave, les problématiques et retarde ainsi l’émergence d’une résolution juridique satisfaisante et moralement acceptable. Surtout, il met en lumière le processus de déresponsabilisation inquiétant dans lequel s’engouffre l’Europe.

S’agissant du renvoi des migrants en situation irrégulière en Turquie, est-il besoin de préciser qu’une telle mesure, si elle a le mérite – vanté par les statistiques de l’Agence Frontex – de réduire depuis juin 2016 le nombre d’entrées sur le sol européen, risque fortement de heurter les droits humains ? D’abord, en raison de l’afflux massif de demandeurs d’asile en Grèce, il n’est pas certain, eu égard au manque de traducteurs et d’assistance juridique appropriée, que leurs dossiers soient convenablement traités. Et ces déficiences systémiques emportent avec elles la certitude de renvoyer des personnes qui ne bénéficient effectivement pas d’une protection internationale. Puis, et les normes internationales et européennes sont à ce sujet sans équivoque, aucun renvoi ne peut être effectué vers un État tiers dont les procédures d’asile sont déficientes et/ou dans lequel les conditions d’accueil seraient constitutives d’un traitement inhumain. Est-il, à ce stade, nécessaire de rappeler que le régime turc ne présente aucune garantie sur ce point ? La situation est telle qu’un tribunal d’appel de Lesbos s’est lui-même opposé il y a peu au retour de syriens en Turquie en raison du non-respect dans cet État des droits humains. Quelle confiance accorder à un système qui, déjà balbutiant, a été récemment amputé de moyens humains et institutionnels importants (15 000 fonctionnaires ont été limogés ces dernières semaines et certaines associations progressistes aidant la cause des réfugiés ont été interdites par décrets) ?

S’agissant des sommes octroyées par l’UE, il est assez regrettable de savoir qu’une telle allocation de budget aurait pu soutenir un tout autre choix politique et une résolution euro-européenne de la crise : renforcement de l’aide financière accordée aux régions pour la construction de centres d’accueil adaptés, renforcement des moyens financiers et humains de l’Agence Frontex ou encore des ONG chargées d’assurer l’assistance matérielle et juridique des demandeurs d’asile. Certes, on ne peut nier que certaines sommes ont été octroyées par l’UE à ces fins depuis 2015 mais cette contribution reste encore trop insuffisante quand on sait, au égard aux récents événements ayant tragiquement frappé Alep, que nombreux seront encore celles et ceux qui viendront frapper aux portes de l’Europe forteresse. À l’aune de la politique liberticide menée actuellement par le Président Erdogan, il est même fort probable que les demandes d’asile en provenance de la Turquie elle-même se multiplient.

L’issue ne peut être trouvée qu’en empruntant deux voies. La première consiste à abandonner l’intergouvernementalité au profit d’un renforcement des compétences de l’Union. On n’aura de cesse de répéter qu’une problématique continentale ne peut appeler qu’à une réponse continentale. Cette prise de conscience a déjà eu lieu dans le cadre des États fédéraux qui ont décidé de laisser, pour des motifs d’efficacité, une grande part de cette compétence à l’échelle supérieure (USA, Allemagne et Canada). La seconde consiste à instituer de véritables solutions permettant de répondre efficacement aux préoccupations des États qui subissent la pression migratoire (Italie et Grèce), à commencer par la suppression du principe du « guichet unique » qui cause tant de maux au système européen, à replacer la solidarité au cœur du mécanisme et à réformer l’Agence Frontex.

Toute autre mesure n’aurait pour autre conséquence que celle de rapprocher encore un peu plus la réalité européenne aux récits anciens d’Euripide dans lesquels les enfants d’Hercule, cherchant refuge à Athènes, regrettaient qu’« au moment où cet asile semblait promettre un sort plus heureux à [leur] famille, ils [étaient] retombés dans un abîme sans issue »

P.-S.

Photo : Centre d’enregistrement de réfugiés "hotspot", Lesbos, Grèce. © Union européenne , 2015 / Source : EC - Service Audiovisuel / Photo : Angelos Tzortzinis

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