L’Europe reprend sa marche, enfin !
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
Le 7 septembre, Emmanuel Macron président de la République française, prononçait un discours remarqué à la Pnyx au cours de sa visite officielle en Grèce. Il y énonçait quelques propositions de réformes institutionnelles pour relancer l’intégration européenne.
Prenant, en quelque sorte, les devants, il n’ignorait pas que six jours plus tard, le 13 septembre, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, prononcerait devant le Parlement européen son désormais traditionnel discours « sur l’état de l’Union » (européenne, bien sûr). À propos de relance, Monsieur Juncker faisait aussi des propositions, en partie différentes.
Propositions de la France
Que propose Monsieur Macron, en réitérant en partie d’ailleurs certaines suggestions qu’il avait déjà faites, tout en en ajoutant de nouvelles ? De son discours d’Athènes, on ne peut facilement extraire que quelques propositions fortes et significatives :
- Des listes (pan-)européennes pour les prochaines élections au Parlement européen en 2019 ;
- la révision de la directive des travailleurs détachés ;
- une Europe « réconciliée » « qui sache conjuguer à nouveau la responsabilité et la solidarité », dans laquelle nous osons à nouveau défendre la convergence sociale et fiscale et éviter les divergences « qui nous éclatent » ;
- une Europe souveraine, d’une souveraineté qui ne soit pas que nationale mais bien européenne ;
- des réformes institutionnelles indispensables ;
- une zone euro plus intégrée – « un cœur d’Europe à l’avant-garde » – munie d’une gouvernance forte, avec un budget de la zone euro, un véritable responsable exécutif de cette zone euro, et un Parlement de la zone euro (sic) devant lequel il devra rendre compte ;
- l’organisation pendant six mois de consultations, de conventions démocratiques « qui seront le temps durant lequel partout dans nos pays les peuples discuteront de l’Europe dont ils veulent ».
Propositions de la Commission
Et Monsieur Juncker ?
Bien sûr, il tente encore de valoriser (survaloriser ?) le travail de « sa » Commission et rappelle à l’encan son Livre blanc du 1er mars 2017 avec les 5 scenarii qu’il avançait mais qui tous, à des degrés divers, frappaient par leur extraordinaire prudence et leur manque d’ambition. Quelques mois seulement plus tard, nous avons déjà changé d’époque, même si, particulièrement en Allemagne, certains continuent de voir en lui un livre sacré et le nec plus ultra des avancées possibles de l’intégration européenne.
Mais il dévoile cette fois son scénario personnel, son « sixième scénario ».
En réaffirmant que l’Europe est un projet plus vaste que le marché unique, la monnaie, l’euro et qu’elle a toujours été une question de valeurs, il la fait reposer sur trois principes fondamentaux : elle est l’union de la liberté, de l’égalité et de l’état de droit que nous devons toujours défendre et promouvoir. Il propose une liste impressionnante par sa longueur et, d’une certaine façon, par son ambition :
- de réformer notre système d’asile commun ;
- d’établir de nouvelles règles plus solides sur le détachement des travailleurs ;
- de renforcer la protection de nos frontières extérieures, en laissant la Bulgarie et la Roumanie rejoindre immédiatement l’espace Schengen et permettre aussi à la Croatie d’en devenir membre à part entière une fois qu’elle en remplira tous les critères ;
- d’amener tous les États membres à adopter l’euro qui a vocation à devenir la monnaie unique de toute l’Union européenne : tous les États membres, sauf deux (aujourd’hui, en fait un) ont le droit et l’obligation d’adopter l’euro dès qu’ils rempliront toutes les conditions ;
- de créer un instrument d’adhésion à l’euro, offrant une assistance de pré-adhésion technique et parfois financière ;
- d’encourager tous les États membres à rejoindre l’union bancaire qu’il est urgent de compléter ;
- de parachever une union de l’énergie, une union de la sécurité, une union des marchés des capitaux, une union bancaire et un marché unique numérique ;
- que les États membres se mettent d’accord sur le socle européen des droits sociaux aussi rapidement que possible, et au plus tard lors du sommet de Göteborg en novembre et qu’ils travaillent à une union européenne des normes sociales ;
- d’offrir des perspectives d’élargissement crédibles aux Balkans occidentaux pour plus de stabilité dans notre voisinage ;
- de faire en sorte que tous les pays candidats à l’adhésion donnent une priorité absolue au respect de l’état de droit, de la justice et des droits fondamentaux ;
- que les décisions pour les questions importantes concernant le marché intérieur, soient plus souvent et plus facilement prises au Conseil à la majorité qualifiée avec une participation égale du Parlement européen : il n’est pas nécessaire de modifier les traités pour cela car il existe dans les traités actuels des clauses dites « passerelles » permettant de passer au vote à la majorité qualifiée au lieu de l’unanimité dans certains domaines, à condition que le Conseil européen le décide à l’unanimité ;
- d’introduire le vote à la majorité qualifiée sur les décisions concernant l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, la TVA, une fiscalité juste pour l’industrie numérique et la taxe sur les transactions financières ;
- que le mécanisme européen de stabilité (MES) évolue progressivement vers un Fonds monétaire européen ;
- qu’un ministre européen de l’économie et des finances encourage et accompagne les réformes structurelles dans les États membres, ministre qui devrait coordonner l’ensemble des instruments financiers de l’UE lorsqu’un État membre entre en récession ou est frappé par une crise menaçant son économie ; pour des raisons d’efficacité, cette tâche doit être confiée au commissaire européen chargé de l’économie et des finances – idéalement vice-président de la Commission européenne – et président de l’Eurogroupe ;
- qu’une ligne budgétaire conséquente dédiée à l’euro zone dans le cadre du budget de l’UE : il n’est pas besoin d’un budget distinct pour la zone euro ;
- que le Parlement européen étant celui de la zone euro, il n’est nul besoin d’un Parlement spécifique pour la zone euro ;
- de créer une cellule européenne de renseignement chargée de veiller à ce que les données relatives aux terroristes et aux combattants étrangers soient automatiquement échangées entre les services de renseignement et la police ;
- de charger le nouveau parquet européen de poursuivre les auteurs d’infractions terroristes transfrontalières ;
- que l’Union européenne soit capable de prendre plus rapidement des décisions de politique étrangère pour avoir aussi plus de poids sur la scène internationale ;
- que les États membres examinent quelles décisions de politique extérieure pourraient être adoptées non plus à l’unanimité, mais à la majorité qualifiée : le traité le permet, si Conseil européen le décide à l’unanimité ;
- de créer un Fonds européen de la défense et d’instaurer une coopération structurée permanente dans le domaine de la défense : d’ici 2025, nous devrions disposer d’une union européenne de la défense opérationnelle dont nous avons besoin et à laquelle l’OTAN est favorable ;
- que, les campagnes électorales européennes ayant jusqu’ici été réduites à une simple addition des propositions électorales nationales, de nouvelles règles soient introduites pour le financement des partis et des fondations politiques pour permettre aux partis européens de mieux pouvoir s’articuler ;
- de présenter des listes transnationales qui rendraient les élections au Parlement européen plus européennes et plus démocratiques ;
- que, les membres de la Commission ayant déjà participé à plus de 300 dialogues avec les citoyens dans plus de 80 villes des 27 États membres, nous fassions encore mieux en soutenant l’idée du président Macron d’organiser des conventions démocratiques dans toute l’Europe en 2018 ;
- qu’afin de façonner l’avenir de notre continent, notre histoire commune soit connue et honorée, et qu’une attention particulière soit accordée en 2018 au 100e anniversaire de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Roumanie, sans lesquelles l’Europe ne serait pas complète ;
- de renouveler l’innovation des têtes de liste, les « Spitzenkandidaten » : « Tout futur Président tirera avantage de cette expérience unique qui consiste à faire campagne dans tous les coins de notre beau continent. Pour comprendre les défis de son poste et la diversité de nos États membres, un futur Président doit rencontrer les citoyens dans les mairies à Helsinki comme sur toutes les places d’Athènes. »
- de fusionner les présidences de la Commission européenne et du Conseil européen « pour plus de démocratie et d’efficacité » (ce dont il est permis de douter : la Commission doit à terme se métamorphoser en un gouvernement démocratiquement contrôlé par le Parlement, tandis que le Conseil a vocation a être remplacé par un « dispositif » présidentiel dénué de fonctions exécutives).
Approfondissement ou élargissement ?
À la lecture de ces deux listes de propositions ambitieuses, bien qu’inégalement, et plus ou moins détaillées, on perçoit toutefois aisément deux approches pas toujours convergentes. Jusqu’à un certain point, l’inspiration de Monsieur Macron est assurément, même timide ou maladroite, fédéraliste. Le très prolixe Monsieur Juncker reste plus intergouvernemental dans ses propos. De même, Monsieur Macron n’hésite pas à préconiser l’envol d’une zone euro ambitieuse, tandis que Monsieur Juncker – il est sans doute dans son rôle – se préoccupe plutôt de la cohésion des 27 et élude la question des réformes institutionnelles.
Mais c’est ici aussi qu’intervient la réaction du bon Dr Wolfgang Schäuble. Un jour il se dit favorable à un ministre des finances de l’euro, un autre il dit y être opposé. Un jour il dit être favorable à un budget de la zone euro, voire à un Trésor, un autre il dit le contraire. Un jour il dit être favorable à un parlement spécifique de la zone euro, un autre il soutient le Parlement européen dans ce rôle. Monsieur Schäuble est constant, cependant, dans son opposition à toute réforme institutionnelle appelant l’amendement des traités ainsi qu’à toute avancée de l’intégration à 27, lui préférant la poursuite d’un intergouvernementalisme de bon aloi, sous le leadership légitime de l’Allemagne. En campagne électorale, la Chancelière Angela Merkel doit ménager la chèvre et le chou. Nous saurons dans peu de temps quelle influence sera celle de Monsieur Schäuble dans le futur gouvernement allemand.
Approfondissement ou élargissement ? Intégration différenciée, ou cohorte unie sur le papier, mais hétéroclite dans les faits ? Vieux débat qui demeure l’enjeu des temps qui viennent. La zone euro, c’est 76% de la population de l’UE à 27, 82,5% de son PIB et elle dispose de 72,6% des députés européens : on est quand-même loin d’une avant-garde !
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