L’UE et les droits des Polonais
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
Les récentes décisions du Gouvernement polonais actuel, relatives notamment à la composition de la Cour Suprême et à la liberté de la presse, ont attiré l’attention des media sur la situation des libertés publiques dans ce pays et ont suscité plusieurs réactions tant au sein du Parlement Européen que de la Commission . Celle-ci vient d’inscrire formellement cette question à l’ordre du jour de sa prochaine réunion du 13 janvier.
En quoi l’UE est-elle concernée par cette situation et quelles sont ses compétences et moyens d’action en la matière ?
On peut tenter de le résumer ici en examinant successivement les quatre points suivants :
La place des valeurs et des droits fondamentaux dans la construction européenne
L’UE a placé "le respect des valeurs communes aux États membres" au frontispice du Traité (art. 2 TUE). Ces valeurs incluent notamment l’"état de droit", le "pluralisme", la "tolérance", la "justice", les "droits des minorités"... Tous les États membres doivent donc respecter ses valeurs dans leur législation interne comme dans leurs décisions exécutives.
De même l’UE a adopté une "Charte des droits fondamentaux", annexée au TUE, qui comprend notamment le droit à la "liberté d’expression et d’information" et le droit "d’accès à un tribunal impartial". Le respect de ces droits s’adresse au premier chef aux actes de l’Union elle`même - mais aussi directement aux États "lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l’Union". Toutefois, la Pologne a obtenu, par protocole, d’être exclue de l’application de la Charte - ainsi que le RU et, dans une moindre mesure, la République tchèque.
L’origine du système européen de protection de ces valeurs et droits
Cette origine se situe dans le "Projet de Traité d’Union Européenne" - (ou Projet Spinelli) adopté par le Parlement Européen en 1984 - lequel prévoit des sanctions contre tout État membre "en cas de violation grave et persistante des principes démocratiques et des droits fondamentaux".
Cette disposition a été reprise dans le Traité d’Amsterdam (1997) où elle vise "la violation grave par un États membre des valeurs" sur lesquelles est fondé le Traité.
Elle a été confirmée par le projet de Constitution européenne (2002) puis, dans les mêmes termes, par le Traité sur l’Union Européenne (2007).
Le mécanisme de protection
Ce mécanisme est explicité par l’article 7 TUE. Bien que décrit - un peu paresseusement - comme "complexe" par la presse, il est relativement simple et classique. Il se déroule en trois étapes successives :
- la constatation préalable d’un "risque" de violation : c’est en fait une étape d’examen contradictoire des faits effectué à la demande d’États membres, du PE ou de la Commission. Elle peut se conclure , sans suite, par l’adresse de "recommandations" du Conseil à l’État concerné - ou au contraire ouvrir le passage à la deuxième étape.
- la constatation de l’"existence "d’une violation grave et persistante" : c’est l’étape décisive, susceptible d’entraîner une sanction [1]. La constatation est du ressort du Conseil Européen statuant à l’unanimité (moins la voix de l’État concerné - et sans tenir compte des abstentions éventuelles) ; elle doit être ensuite approuvée par le PE.
- la sanction : la seule sanction prévue consiste dans la suspension de "certains droits" de cet État en vertu du traité - et notamment de son droit de vote au sein du Conseil. La sanction principale est donc, en pratique, une mise au ban de cet État par ses pairs - sans exclure la possibilité d’autres "mesures" non précisées comme, éventuellement l’interruption des financements européens. Cette décision est du ressort du Conseil de ministres statuant à la majorité qualifiée ; de la même façon, le Conseil peut décider ultérieurement de modifier ces sanctions, ou d’y mettre fin, en cas de "changement de situation".
Un mécanisme efficace ?
- un mécanisme politique et non juridictionnel : il est important de noter que le traité a voulu réserver aux autorités politiques (en fait aux États membres eux-mêmes réunis au sein du Conseil) la compétence principale en la matière - et non pas instaurer une procédure juridictionnelle qui aurait pu être confiée à la Cour de Justice de l’UE [2]. De fait, la nécessité d’une décision unanime du Conseil Européen pourrait permettre à un seul État membre de bloquer la procédure.
- un mécanisme graduel : l’existence de trois phases successives - non soumises à des délais impératifs et assorties de consultations avec l’État concerné - a pour but de laisser toute la place à des négociations avec le Gouvernement en place de cet État mais aussi, le cas échéant, de patienter jusqu’à son renouvellement ...
- un mécanisme visant un gouvernement plutôt qu’un État : le fait qu’il ne soit jamais question d’une éventuelle exclusion de l’UE visant l’État concerné [3] montre que l’Union fait la différence entre la responsabilité (et la permanence) d’un État, d’une part, et celle de son Gouvernement en place au moment des faits, d’autre part.
- un mécanisme dissuasif : de fait, ce mécanisme n’a jamais été utilisé à ce jour, même s’il a été sérieusement évoqué à plusieurs reprises. Les précédents cas de violation éventuelle des valeurs ou droits fondamentaux ont pu être réglés dans un délai raisonnable par des mesures correctrices prises de leur propre chef par les gouvernements concernés... ou par leurs successeurs.
Il demeure, à l’évidence, regrettable qu’un pays aussi important (en lui même comme au sein de l’UE) que la Pologne soit entraîné dans une telle direction. D’autant plus que ces dérives en matière de droits de l’homme s’accompagnent d’une attitude générale plutôt négative envers l’UE ; il n’est d’ailleurs pas exclu que tout cela traduise une sorte de provocation du gouvernement actuel envers l’Union et certains de ses États membres.
D’autre part, il apparaît qu’une partie de l’opinion polonaise manifeste de manière croissante son opposition à ces dérives.
Dans la mesure où celles-ci ne portent pas d’atteinte caractérisée et irréversible au régime démocratique polonais et aux droits fondamentaux de ses citoyens, il convient sans doute de laisser - au moins pour un temps - toute leur place à la négociation et au dialogue, lesquels n’excluent pas les formes habituelles de pressions diplomatiques. L’existence de tensions du même type dans quelques autres États membres devrait aussi être prise en considération.
Il semble, pour l’instant du moins, que le mécanisme évoqué ci-dessus puisse constituer un cadre adéquat pour tenir compte de tous ces éléments.
Jean-Guy Giraud 06 - 01 - 2016
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