Les valeurs de l’Union européenne mal protégées
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
Conférence de presse de Frans Timmermans, premier vice-président de la CE, sur l’état de droit en Pologne - © Union européenne , 2017 / Source : EC - Service Audiovisuel / Photo : Lukasz Kobus
Jean-Guy Giraud, ancien président de l’UEF-France, dénonce les limites l’article 7 du traité destiné à sanctionner la violation des valeurs de l’Union européenne.
Les failles de l’article 7
Dès le lendemain de l’adoption du Traité de Lisbonne, certains commentateurs ont relevé les failles du dispositif de l’article 7 TUE visant à sanctionner un État membre pour violation grave et persistante des droits fondamentaux - ou, plus précisément, des valeurs de l’Union telles qu’énumérées au frontispice du Traité (article 2).
La première faille réside dans la succession des étapes à franchir - au moins quatre - avant toute prise de sanctions effectives.
La deuxième faille (certainement la plus paralysante) est la nécessité d’obtenir un vote unanime du Conseil européen pour constater “l’existence d’une violation grave et persistante des valeurs de l’UE”, ouvrant la voie à de possibles sanctions.
Un processus politique
La troisième faille est d’un ordre plus général qui explique les précédentes : le processus tout entier est de caractère politique. Il laisse aux gouvernements en place - réunis au sein du Conseil européen - la maîtrise de la décision principale (la “constatation” d’une violation).
Or, par nature, cet organe est amené à procéder à des arbitrages de caractère quasi-diplomatique - même si, en la circonstance, ceux-ci doivent être basés sur des faits relevés par la Commission.
Inévitablement, les représentants des gouvernements seront influencés dans leurs positions respectives par des facteurs étrangers à la nature et à la gravité réelles des violations - facteurs dérivant dérivant de leurs propres cultures politiques, de leurs propres pratiques en matière de respect des valeurs de l’UE, de leurs propres conceptions du domaine de la souveraineté nationale, voire même de leurs intérêts internes ou externes immédiats.
Plus prosaïquement, certains gouvernements hésiteront à sanctionner un État membre dont ils se sentent plus particulièrement proches sur le plan politique, diplomatique voire géographique - ou dont ils voudront tout simplement conserver l’appui au sein de l’UE.
Enfin, certains gouvernements peuvent craindre qu’une décision finale de sanction puisse constituer un précédent susceptible de les concerner eux-mêmes à l’avenir.
Un mécanisme alternatif proposé …en 1984
Pouvait-on concevoir un mécanisme différent qui laisse plus de place à la constatation objective des faits (la violation des valeurs) d’une part et n’impose pas le verrou du vote unanime des gouvernements d’autre part ?
La réponse est positive : un tel mécanisme fut proposé - dès … 1984 - par le projet de Traité instituant l’Union Européenne (dit “Traité Spinelli").
L’article 44 de ce projet prévoyait en effet (voir ci-dessous) :
- que la “constatation” des violations est faite par la Cour de Justice de l’UE. Cette procédure juridictionnelle garantit à la fois l’objectivité et la rigueur juridiques de l’examen des faits et de la “constatation" elle-même,
- que la décision de sanction est du ressort du Conseil européen - mais que l’unanimité n’est pas expressément requise.
La saisine de la Cour était plus conforme à la procédure normale prévue par le Traité lorsque "un État membre a manqué à ses obligations” : avertissement par la Commission, saisine de la Cour si l’État ne réagit pas, décision de la Cour (confirmant ou pas le manquement) - sanction (voir articles 258 et 260 TUE).
Si la décision de sanction - normalement du ressort de la Commission, sous réserve de l’aval juridique de la Cour - était laissée au Conseil européen dans le Traité Spinelli, le Conseil n’avait plus à débattre de l’existence d’une violation désormais établie. Son rôle se limitait à mesurer l’ampleur de la faute et, corrélativement, celle de la sanction éventuelle. De plus, le Conseil restait maître de ses modalités de vote (majorité simple ou qualifiée - unanimité).
Une efficacité non encore vérifiée
On sait que l’article 7 TUE a été repris sans modification du Traité d’Amsterdam (1997). Il avait surtout à l’époque pour but de montrer que “l’obligation de respecter les valeurs de l’union ne s’arrête pas avec les traités d’adhésion” [1] et était notamment motivé par la perspective des prochaines élargissements de l’UE, notamment vers l’Europe de l’est.
Les rédacteurs du projet de Constitution comme du Traité de Lisbonne (2002/2007) n’ont pas souhaité modifier cet article.
Son déclenchement a été envisagé depuis à deux reprises : à l’égard de l’Autriche en 1999 (Gouv.t Jorg Haider) - et de l’Italie en 2004 (Gouv.t Silvio Berlusconi).
Mais, cette procédure n’a été véritablement engagée qu’en 2017 à l’encontre de la Pologne et elle suit actuellement son cours. Et l’on sait que la Hongrie - elle-même soupçonnée de violation des valeurs de l’UE - a déclaré vouloir opposer son veto à un éventuel vote du Conseil européen ouvrant la voie à des sanctions contre la Pologne.
Il est clair que l’esprit même de l’article 7 est à la fois d’exercer une pression (politique et morale) croissante sur le gouvernement concerné - tout en laissant le temps nécessaire au dialogue et à l’action diplomatique.
Si, dans le cas polonais, ce mécanisme s’avérait inopérant, il serait peut-être opportun d’envisager son renforcement - en s’inspirant peut-être de celui proposé par le PE dans le traité Spinelli …
Après tout, il est paradoxal que la protection de l’UE contre la plus grave des violations (celle de ses valeurs fondamentales) s’avère beaucoup moins efficace que sa protection contre des violations des règles de n’importe quelle politique commune !
Jean-Guy Giraud 16 - 04 - 2018
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