Merkel et Hollande à Strasbourg : c’est l’heure du projet, plus celle de la seule éloquence
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
La visite d’Angela Merkel et de François Hollande au Parlement européen, des craintes réalistes d’Andrew Duff à l’espérance mesurée de Paolo Vacca.
Mercredi prochain, à Strasbourg, la chancelière allemande et le président français s’adresseront conjointement au Parlement européen. Ce sera la première fois que les leaders des deux plus grands pouvoirs politiques de l’Union s’adresseront ensemble aux représentants des citoyens européens depuis François Mitterrand et Helmut Kohl en 1989 dans les suites immédiates de la chute du mur de Berlin.
À cette occasion, le président et le chancelier de l’époque célébrèrent ensemble la perspective de la réunification allemande et ils présentèrent un front uni face aux nouveaux défis que la fin de la guerre froide allaient amener. Mais ils adoptèrent dans leurs discours respectifs des attitudes et des styles très différents, pour ne pas dire opposés. François Mitterrand se fit le porte-parole du pragmatisme et de la continuité, acceptant la caractère inéluctable de la réunification et son impact sur l’ordre européen. Tandis que Kohl joua la carte du leadership moral. Néanmoins, leur message commun fut clair : les Communautés européennes avaient besoin d’une transformation profonde pour faire face à une Allemagne unifiée et pour accueillir les citoyens européens libérés du joug soviétique. Inutile de dire que l’union politique ne put profiter d’un jeu aussi prometteur. Cependant les plans d’une union monétaire, objets d’études et de rapports au cours des deux décennies précédentes, reçurent leur impulsion décisive en ces jours cruciaux.
Mercredi prochain, les deux leaders iront à la rencontre d’un Parlement européen très différent, et ce dans des circonstances également très différentes.
Le Parlement auquel ils s’adresseront dispose aujourd’hui d’infiniment plus de pouvoir que l’assemblée de 1989. Pourtant, en législateur diligent, il n’affiche aucune volonté de jouer le rôle d’un pilote dans les larges débats concernant l’avenir de l’union et les réformes à lui apporter. Certains de ses membres se forgent une réputation par leurs projets ambitieux et leurs discours encourageants. On ne manque ni de déclarations, ni de résolutions bien intentionnées. Mais il semble impossible de trouver l’énergie et le consensus nécessaires pour que le Parlement, en tant qu’institution, se comporte véritablement comme un moteur dans les larges débats sur l’avenir de l’Union. Ses leaders sont résignés à laisser ce rôle aux chefs d’État et de gouvernements. Ce Parlement est aussi beaucoup plus sceptique, et pas seulement à cause des nouveaux partis eurosceptiques et nationalistes que l’on y trouve.
Les deux leaders n’ont pas grand-chose à célébrer aujourd’hui. Les défis sont plus grands que jamais tandis que les États membres s’échinent à trouver un point de vue commun quant à la forme définitive de l’union monétaire, à la crise des migrations, à l’instabilité aux frontières de l’Europe et au « Brexit » menaçant. Depuis 1989, le moteur franco-allemand a perdu beaucoup de puissance ; c’était sans doute inévitable dans une Union plus vaste et plus diversifiée, avec une Allemagne de plus en plus puissante, et une France à la fois économiquement faible et incapable d’assumer les limites de sa souveraineté nationale. Pour rendre leur tâche encore plus ardue, la banalisation du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernements, qui se réunit théoriquement tous les deux mois, fait de leur visite un événement ordinaire en apparence. Le président Hollande a la tâche la plus rude : après des années de profil bas en matière de politique européenne de la France, a-t-il l’intention de prendre en compte les déclarations ambitieuses de ces derniers mois quant au besoin d’« une union politique de la zone euro », et d’apporter son soutien à Emmanuel Macron, son ministre des finances, de plus en plus ouvertement fédéraliste ?
Si la chancelière et le président veulent quitter la tribune avec un peu plus que des applaudissements polis, ils vont devoir revenir à leurs rôles fondamentaux. Ils sont les représentants de deux grands peuples qui, à travers leur amitié, ont permis à l’Europe de se pacifier et au processus d’unification européenne d’être mis en route. Pendant six décennies, leur inspiration a fait avancer l’intégration européenne. Ce dont nous avons besoin de leur part aujourd’hui, c’est une vision d’avenir renouvelée pour l’Union européenne, et particulièrement pour la zone euro. Il faudrait qu’ils nous montrent qu’ils ont réellement conscience des vrais défis qui menacent l’Europe, de l’extérieur, de l’intérieur, et depuis ses fondements mêmes. Et qu’ils sont à la fois capables de s’y attaquer à la racine et bien déterminés, quels que soient les obstacles qu’ils rencontreront sur leur route, et sans ménager les efforts qu’ils devront déployer. L’heure sonne maintenant des hommes et femmes d’État, celle des politiciens est passée.
Même s’il est inévitable que l’éloquence atteigne des sommets en de pareilles occasions, il ne faudrait pas que Merkel et Hollande ne laissent que ce souvenir, car c’est d’un projet dont l’Europe a besoin. Plus concrètement, nous avons besoin qu’ils fassent preuve d’un engagement sans faille à établir un plan en vue d’une union budgétaire, économique et politique pour la zone euro, et qui, en même temps, propose des solutions pour les États membres moins intégrationnistes, d’abord et en priorité pour le Royaume-uni. Nous avons besoin qu’ils rétablissent l’Union dans son rôle d’agent de paix et de sécurité dans le monde, et par-dessus tout dans son voisinage, et pour que l’Union affiche son unité dans les conflits qui encerclent et menacent notre continent.
Le président et la chancelière sont les seuls à pouvoir trancher le nœud gordien qui oppose la souveraineté nationale et l’intégration européenne, ils sont les seuls à pouvoir jeter les bases d’un plan de réforme de la zone euro et, en réalité, de l’Union. Toute ambiguïté, toute absence de précision ou – encore pire – toute complaisance rhétorique excessive sans faire état d’intentions sérieuses ruinerait la crédibilité de ce qu’il reste du moteur franco-allemand et donnerait un coup de plus à une Union qui a désespérément besoin d’inspirer et de rassembler ses citoyens autour d’un projet clair pour son avenir.
Les chances d’exaucement de nos vœux sont minces, mais nous serions ravis d’avoir une bonne surprise.
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