Un duo franco-allemand face à un Parlement grincheux
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
La visite d’Angela Merkel et de François Hollande au Parlement européen, des craintes réalistes d’Andrew Duff à l’espérance mesurée de Paolo Vacca.
La première fois que cela se produisit, le 22 novembre 1989, le chancelier allemand éclipsa le président français. C’était moins d’une quinzaine de jours après la chute du mur de Berlin. Helmut Kohl semblait confiant et déterminé, clair dans son appel à l’élargissement de la Communauté européenne et dans son engagement envers une union politique. Par contraste, François Mitterrand, qui s’était exprimé le premier, semblait ne pas pouvoir croire tout à fait ce qui arrivait. Dans l’hémicycle bondé de Strasbourg, les eurodéputés applaudirent Mitterrand poliment, mais ils firent à Kohl une ovation chaleureuse.
Ce mercredi 7 octobre, le duo franco-allemand va se reproduire à Strasbourg, quoique dans des circonstances bien différentes. Il y a bien peu à célébrer, mais beaucoup de motifs de préoccupation.
Le Parlement européen en difficulté
Au cours de sa réception, on peut s’attendre à ce que ce Parlement européen se montre beaucoup moins poli que son prédécesseur envers ses hôtes. Bien que la présente assemblée soit menée par les deux grands groupes auxquels les partis respectifs de la chancelière et du président appartiennent, cette coalition bi-partisane n’est pas très facile, ni, à l’évidence, très efficace. Son pacte est bâti sur des sables mouvants. Le Parti Populaire Européen est beaucoup moins chrétien-démocrate qu’il n’était du temps de Kohl, tandis que les soi-disant « Progressistes » sont devenus bien moins socialistes.
Et dans le même temps, la puissance allemande a continué de croître depuis la réunification, tandis que le bilan de la France s’est affaibli. Le fait que les Britanniques se soient virtuellement retirés de la grande politique européenne accentue par contraste le profil dominant de l’Allemagne. En fait, pris dans son ensemble le Parlement semble asphyxié par l’extension à la scène européenne de la Grande coalition entre CDU/CSU et SPD qui règne à Berlin. Pendant que tous les groupes multi-partis du Parlement se débattent en tentant d’atteindre un minimum de cohérence et de management, l’influence des délégations nationales dans et entre ces groupes continue de prévaloir. Et les eurodéputés allemands constituent la délégation nationale la mieux organisée : qu’on se rappelle, par exemple, comment la puissante industrie automobile allemande a tout balayé devant elle, de la gauche à la droite, lorsque le Parlement en est venu à légiférer sur les émissions des véhicules.
Le Parlement actuel paraît très réticent à prendre des risques. Malgré la réduction en volume de la législation de routine, les eurodéputés n’ont pas mis en œuvre un grand sens de l’orientation stratégique pour l’avenir de l’Europe pour combler l’espace ainsi libéré. Les questions relatives à l’élargissement ont été ôtées de leur ordre du jour. Mais le Parlement ne s’est pas montré disposé à utiliser ses droits d’initiative législative et politique. Si le Parlement peut être fier à juste titre de l’expérimentation des Spitzenkandidaten lors de l’élection de 2014, celle-ci risque fort d’être mise à bas en 2019 parce que la commission des affaires constitutionnelles a abandonné toute réforme électorale. Et dans le même temps, en ce qui concerne la gouvernance économique, la commission parlementaire des affaires économiques et monétaires est à la d’un Conseil européen qui n’est pas à la hauteur.
Martin Schulz, président du Parlement, a pris sur lui de bloquer tout débat sur l’amendement des traités. Schulz profite de l’importance qu’il a prise à la faveur de sa prestation en tant que Spitzenkandidat social-démocrate. Il se comporte aujourd’hui comme un président qui aura disposé de deux mandats successifs et il se dit même qu’il cherche maintenant à en obtenir un troisième. Cependant, si une telle prolongation sans précédent devait survenir, cela émousserait le pluralisme que permet l’alternance à mi-mandature, cela affaiblirait l’indépendance des eurodéputés et cela accentuerait le conservatisme douillet du Parlement, au moment même où l’UE a impérativement besoin de retrouver une ardeur nouvelle et un sens aigu des réformes indispensables.
Des envolées lyriques, ou des discours consistants ?
Que pouvons-nous donc attendre de François Hollande et Angela Merkel lorsqu’ils s’adresseront au Parlement le 7 mars prochain ? Seront-ils ou non d’accord l’un et l’autre ? Hollande s’accorde-t-il avec Emmanuel Macron, son ministre de l’économie, de plus en plus ouvertement fédéraliste ? Merkel désavouera-t-elle Wolfgang Schäuble, qui lui n’est pas d’accord avec Macron ? L’un ou l’autre des deux leaders poussera-t-il Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, à accélérer son projet d’approfondissement de l’intégration budgétaire et d’installation d’un gouvernement fédéral ? Oseront-ils appuyer les ambitieuses propositions de la Commission en matière d’asile et d’immigration ? L’Allemagne se rapprochera-t-elle enfin de la France en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense ?
Quoi qu’il se produise à Strasbourg, l’Europe n’a pas besoin d’entendre le grand duo parler avec éloquence des nombreux sujets sur lesquels ils ne peuvent pas grand-chose. Et parmi d’autres ce referendum stupide et déplacé de Davis Cameron sur la sortie de l’Union.
On peut faire confiance aux deux leaders pour s’exprimer avec consistance sur le dilemme moral et constitutionnel de l’Europe. Mais ils ne devraient pas se contenter de se rendre à Strasbourg pour flatter Schulz. Une Merkel ambitieuse et un Hollande hésitant s’adressant à un Parlement débattant sans objet véritable ne feront pas de ce mercredi une date mémorable. Ceux qui souhaitent du bien à l’Europe espérent que Merkel saura reproduire le leadership de Kohl et que Hollande saura se tailler le costume d’un personnage faisant montre d’une plus grande maîtrise des événements que Mitterrand dans toute sa ruse.
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