Rapport Draghi : un impôt européen pour maintenir notre modèle social Necker, Franklin, Draghi

Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.

, par Jean-Christophe Fadot

Rapport Draghi : un impôt européen pour maintenir notre modèle social

Le rapport remis par Mario Draghi, ancien président de la BCE souligne la nécessité d’investir dans l’économie européenne. Jean-Christophe Fadot décrypte ce que ce rapport sous-tend : des ressources propres et une Fédération européenne.

Le 6 mai 1789 Jacques Necker, ancien banquier et directeur général des finances de Louis XVI, inaugurait par un discours les premiers États généraux que la France ait connus depuis 1614.
Leur convocation avait une raison simple : la situation des Finances était catastrophique. Le rapport de Necker tenait en une phrase tout aussi simple : tous devaient contribuer à l’impôt.
Mais comme souvent avec les propositions de bon sens, ça ne plut à personne. “Pas assez ! “ dit le Tiers État. “Inconcevable !” s’époumonèrent Noblesse et Clergé. Le 12 juillet 1789, Necker était renvoyé. La suite de l’histoire est connue.

l’Europe doit lever un impôt européen pour conserver sa liberté, son modèle social et sa prospérité

Dans un parallèle remarquable, le 9 septembre 2024 Mario Draghi, ancien banquier, ancien Président de la Banque centrale européenne et ancien Premier ministre de l’Italie, présentait son rapport sur la compétitivité européenne.
Sa principale préconisation tient également en une phrase simple. Si elle veut conserver sa liberté, son modèle social, sa prospérité, l’Europe doit lever un impôt européen pour financer la survie de sa compétitivité économique.
Mais, comme souvent avec les propositions simples, il y a une condition préalable, tout aussi simple, mais peu envisagée, ce qui la rend compliquée. Pour lever un impôt européen, encore faudrait-il qu’une Europe fédérale existe.

En réalité, elle aurait dû et pu exister depuis longtemps. Le discours de Victor Hugo en 1848 sur les États-Unis d’Europe avait lancé un vaste processus de réflexion dont le « mémorandum sur l’organisation d’un régime d’union fédérale Européenne » fut un jalon essentiel. Rédigé par Alexis Léger, le futur Saint-John Perse, proposé par Aristide Briand le 17 mai 1930 aux 26 États européens de la Société des Nations, il resta pourtant sans suite. L’Europe avait mieux à faire, faut-il croire, et oublia cet appel.
Tout comme nous avons généralement oublié ce « Comité d’action pour les États-Unis d’Europe » réuni le 13 mai 1955 à l’initiative de Jean Monnet autour de responsables politiques et syndicaux et de survivants des camps de concentration et de l’hiver des libertés. Pourtant l’Union Européenne d’aujourd’hui y est née. L’Europe d’aujourd’hui est née d’un projet fédéral que personne n’ose rappeler ou nommer.

Techniquement, le rapport de Mario Draghi est un joyau. Le moindre graphique témoigne d’une intelligence éblouissante. La montée en puissance de la Chine sur les 20 dernières années, la persistance de la capacité d’innovation des États–Unis, les hoquets institutionnels d’une Europe où coexistent encore d’innombrables principautés réglementaires, commerciales, financières, en un mot, sa fragmentation, cette assemblée de confettis brillants et désormais minuscules, tout y est, il suffit de lire, et si on en a la constance, d’aller jusqu’au bout des 6 analyses et propositions du rapport.
Mais qui lira un texte où le concept de Fédération européenne, quoique nulle part cité, est présent partout ? Ce document est d’une complexité soutenue, malgré d’évidents efforts de pédagogie. Pourtant on peut traduire cette complexité d’un seul trait : la fragmentation de l’Europe met sa survie en jeu. Ou plus simplement dit encore, si l’Europe veut survivre, elle doit s’unir.
L’Europe, ce modeste 5,4 % de la population mondiale, ces 450 millions de citoyens que regardent 1,4 milliard d’Africains, dont 450 millions ont moins de 15 ans, l’Inde ou la Chine, qui comptent, chacune, 3 fois plus d’habitants, en somme, cette principauté fragile et futile par son incohérence institutionnelle, doit devenir ce que son nom dit et qu’elle n’est pas encore : une Union.
Cela semble grandiloquent. « S’unir, sinon mourir, allons-donc, on n’en est-pas là ! »

Qu’écrit pourtant Mario Draghi au terme de 50 années d’expertise économique, financière et politique internationale ?

“Never in the past has the scale of our countries appeared so small and inadequate relative to the size of the challenges. And it is long since self-preservation has been such a common concern. The reasons for a unified response have never been so compelling – and in our unity we will find the strength to reform”.

« Jamais l’échelle de nos pays n’a paru aussi dérisoire face à l’ampleur des défis. Notre instinct de survie est sollicité comme aux pires heures de notre histoire. La logique d’une réponse unifiée n’a jamais été si évidente - c’est dans notre unité que nous trouverons la force de réformer. » Oui, on en est là.

« Pas assez social ! » dit-on ici de ce rapport, « Trop dramatique ! » Lit-on ailleurs. Un an de travail, une sorte de chef d’œuvre compagnonnesque du devoir européen, rédigé par une sommité intellectuelle et politique, probablement assistée d’experts et nourrie d’études du plus haut niveau, mais non, il faut vite oublier ces mots d’unité européenne, ces mots qui semblent « inconcevables ». Inconcevable ! Nous époumonons-nous de toutes sortes de critiques, de droite, de gauche, du pays des start-ups ou du nationalisme.

S’unir ou périr dans un monde bouleversé

En somme, Necker est revenu, et tout le monde, à nouveau, s’en fiche. En somme, ne faisons-rien, puisque rien de ce qui ne marche pas ne peut changer.
Le 9 mai 1754, dans sa Pennsylvania Gazette, Benjamin Franklin publiait sa célèbre caricature “Join or die !” Unissez-vous ou périssez ! adressait-il aux colonies américaines emportées par la lutte entre Français et Anglais. Elles, réussirent à s’unir, et le reste est de l’histoire.
Qu’écrivait-il dans cet article ? Ceci : « La confiance des Français dans cette entreprise repose avec raison sur l’état actuel de désunion des colonies britanniques et sur l’extrême difficulté d’amener tant de gouvernements et d’assemblées différents à se mettre d’accord sur des mesures rapides et efficaces pour notre défense et notre sécurité communes ». Remplaçons les Français et colonies britanniques d’alors par nos 26 nations et les défis qu’elles rencontrent et nous avons au mot près le même constat à faire : celui qu’indique Mario Draghi.

Cependant, aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’ancienne Europe qui doit s’unir sauf à périr. C’est l’humanité. Confrontée à la montée des eaux, des températures, des égos et des conflits, nous pouvons, nous humains, prendre conscience de notre force, ou continuer à subir ce que la faiblesse induit : la soumission à la violence, aux évènements, aux conditions.
Une Europe unie, même fédérale, ne serait qu’un nationalisme de plus, une autre soumission à l’inconnu, une autre incapacité à comprendre la dimension du monde. La légitimité du fédéralisme européen repose dans sa capacité à inventer un modèle politique, économique et culturel de dimension planétaire, dont elle pourrait être le premier maillon, en s’unissant de manière fédérale, c’est-à-dire respectueuse de la vitalité individuelle, locale, régionale, nationale.
En réalité, c’est très simple, vraiment. Il suffit de lire l’histoire, cette scénariste de peu d’imagination : les puissants gagnent, les faibles disparaissent. C’est tout ce qu’elle écrivit au cours des âges, c’est ce qu’elle écrit encore.
Unie, l’humanité gagnera, et le reste sera l’histoire.
Désunie, elle est dans son 12 juillet 2024 collectif dont le destin pourrait être étrange, étranger en tout cas à ce que tout être humain espère.
Mario Draghi dans ce rapport propose une histoire, à nous de l’écrire de toutes les lettres de la vie !

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