In Memoriam : Robert Toulemon (1927-2020) Haut fonctionnaire, français et européen et militant fédéraliste
Notre ami Robert Toulemon s’est éteint à Paris dimanche 5 juillet ; ses obsèques auront lieu aujourd’hui, vendredi dans la commune de « sa petite patrie périgourdine », Montagnac la Crempse, qui l’a vu naître près d’un siècle auparavant.
C’est dès les premières pages de ses Mémoires, Souvenirs européens (1950-2005) , qu’il s’exprime sur les raisons de son engagement fédéraliste qui sera celui de toute une vie.
« Élevé dans l’horreur de la guerre […] La lecture de l’ouvrage de l’Américain d’origine hongroise Emery Reves, Anatomie de la paix , paru en 1945, fut une révélation. Comme la nuée porte l’orage, la souveraineté des États porte la guerre. La survie de l’humanité postule l’abdication des souverainetés en vue de l’établissement d’un gouvernement mondial. […] J’avais vibré, au palais de Chaillot, avec une foule d’étudiants, au discours du jeune mondialiste Gary Davis venu, après avoir symboliquement déchiré son passeport, appeler à l’instauration d’un gouvernement mondial. Je devais assez vite comprendre que cet objectif demeurerait encore longtemps hors de portée et que des regroupements régionaux devraient le précéder et le préparer. Ma conviction demeure entière au soir de ma vie que de la capacité de l’humanité à se doter d’un pouvoir supranational dépend l’avenir de la civilisation et sans doute de l’espèce » .
Robert fait ses études chez les Jésuites de Sarlat, comme peu avant Bernard Lesfargues que je lui présenterai plus tard, avant de suivre les cours de droit de la Faculté de Toulouse (1944), de l’Institut d’études politiques de Paris (1949) où il reviendra pour enseigner (1958-60, 1974-80) et de l’École nationale d’administration (1950-53). Il rejoint l’Inspection des finances, devenant inspecteur (1956). Il commence sa carrière au ministère des Finances et affaires économiques où il occupera divers postes. Il milite à la fin des années cinquante au Club Jean Moulin et y rencontre des personnalités proches ou engagées dans les mouvements fédéralistes : Stéphane Hessel, Pierre Uri, Étienne Hirsch (futur président de l’Euratom et du Mouvement fédéraliste européen France), le doyen Georges Vedel, André Jeanson (futur Secrétaire général de la CFDT et promoteur du Comité de liaison et d’action fédéraliste en 1968) ou de futurs responsables politiques comme Jacques Delors. Il y défend déjà ses convictions européennes.
« Stéphane Hessel me conviait parfois chez lui dans le haut du boulevard Saint-Michel à des réunions restreintes sur l’Europe. C’est dans ce cadre qu’un soir je fis l’une des rencontres qui devaient marquer ma vie, celle d’Altiero Spinelli. Sa fougue, son éloquence, la rigueur de ses démonstrations, la foi qui l’animait, sa volonté farouche de la faire partager me séduisirent immédiatement. Son discours fédéraliste rejoignait mes intuitions. Il balayait les hésitations et les prudences qui marquaient l’engagement européen de mes amis du Club » .
C’est début 1962, que Jean Dromer, conseiller à l’Élysée, propose à Robert de s’exiler à Bruxelles pour y occuper les fonctions de chef de cabinet du Vice-président français de la Commission, Robert Marjolin, ancien adjoint de Jean Monnet au Plan. « Cette offre qui me remplit de joie […] m’ouvrait la perspective inespérée de travailler à ce qui m’apparaissait comme le grand œuvre, le grand dessein de ma génération » . Il prend son poste début juin 1962 et va se consacrer à la Commission européenne, d’abord auprès de Marjolin puis de Spinelli.
C’est en effet en 1970, à l’occasion du renouvellement de la Commission pour un mandat de quatre ans, qu’il va réellement retrouver ce dernier et travailler à ses côtés sur les problèmes de la recherche et de l’environnement jusqu’en 1973 et son retour en France.
« J’appris avec stupéfaction que le gouvernement italien proposait de remplacer le prince Colonna par l’ancien communiste devenu fédéraliste, Altiero Spinelli. […] Je l’avais revu à diverses reprises à Bruxelles, lors de réunions fédéralistes. Je l’avais entendu, non sans perplexité, stigmatiser la prudence d’Hallstein. Il aurait voulu que la Commission en appelât à l’opinion publique contre des gouvernements qui, ouvertement ou hypocritement, refusaient à l’Europe les moyens d’exister et d’agir. Voilà le trublion qui allait entrer dans le collège des commissaires et devoir se confronter avec les contraintes de la réalité. Reprenant les attributions de Colonna, il serait mon patron […] la perspective de travailler avec Spinelli me réjouissait. Je ne fus pas déçu. Sa force de conviction était intacte. Il arrivait à Bruxelles auréolé de la gloire d’avoir converti la gauche italienne au fédéralisme européen et notamment Pietro Nenni, leader des socialistes de gauche et proche des communistes, à qui il devait sa nomination ».
Revenu en France, Robert se consacre à de multiples tâches professionnelles : directeur de cabinet de Pierre Abelin ministre de la coopération (1974-76), chargé de mission d’André Fosset ministre de la qualité de la vie (1976), inspecteur général des finances (1977). Parallèlement il fonde l’Association d’études pour l’Union européenne (AFEUR, 1974) qu’il transformera en Club Europe-AFEUR-ARRI (Association réalités relations internationales) qu’il préside.
Il adhère au Mouvement Européen France et à l’UEF, à des dates que je ne peux préciser, et participe en octobre 1990 à la demande de Joseph Rovan, empêché, à Prague à une rencontre de la Helsinki Citizen’s Assembly, fondée par la Fondation Bertrand Russel pour la paix et regroupant des Européens de l’est et de l’ouest.
« Je découvre une société civile européenne assoiffée de paix, de liberté, de démocratie et consciente des menaces que font peser sur la nouvelle Europe la résurgence des affrontements ethnico-nationalistes. Je note pour Rovan les interventions de Semprun appelant la Gauche non communiste à l’autocritique pour sa trop longue complaisance à l’égard des tyrans, d’Edgar Morin établissant un parallèle entre la souveraineté de droit divin des rois et celle de l’État-nation, du Ministre tchèque Sabata en faveur d’une humanité plus organisée et plus unie, au-delà des barrières idéologiques. Rovan sera surpris d’apprendre la présence d’une cinquantaine de nos compatriotes, parmi lesquels sept autonomistes corses d’une mouvance écolo-pacifiste » .
C’est à cette occasion qu’il se lie avec notre ami Lucio Levi de Turin.
J’ai rencontré Robert, pour la première fois, début 2000 à Paris lorsque Jean-Pierre Gouzy, ami commun, a souhaité m’introduire auprès de lui à l’occasion d’une réunion européenne. Nous nous connaissions de nom, et il m’avait autorisé à republier l’un de ses articles dans Fédéchoses-pour le fédéralisme, peu avant. Quelle n’a pas été sa surprise de découvrir que j’habitais depuis peu en Dordogne une partie de l’année et que nos domiciles étaient distants de 500 mètres.
Je crois que cet heureux hasard a beaucoup joué par la suite sur nos relations amicales. C’est ainsi que je lui ai suggéré de verser ses archives européennes aux Archives historiques de l’Union européenne (AHUE) auprès de l’Institut universitaire européen de Florence et que nous avons pu par la suite publier à Presse fédéraliste son ouvrage Souvenirs européens grâce à une aide financière des AHUE. Ses archives ont rejoint ainsi de nombreux autres fonds de militants et d’associations pro-européennes. Enfin Robert m’a demandé d’organiser quelques mois avant le décès de Bernard une réunion chez celui-ci à Église neuve d’Issac à quelques kilomètres ; ce fut l’une des plus émotives rencontre de mon existence, entre ces deux hommes fédéralistes et cosmopolites mais en même temps viscéralement attachés au Périgord et à son patrimoine ; leur commune appartenance à la Société historique et archéologique du Périgord, à laquelle ils m’ont parrainé, ou à l’Association Wilgrin de Taillefer pour la mise en valeur du canton de Villamblard en attestent.
Au fil des ans ce sont, plus d’une vingtaine d’articles de Robert (prochainement, je l’espère, réunis dans un ouvrage dédié à sa mémoire) que nous avons publiés ; parfois repris de son blog ou d’autres publications (Futuribles, Notes de l’AFEUR ou de l’ARRI etc.) ou parfois republiés pas d’autres publications (L’Europe en formation, le Taurillon) ; aussi très souvent de longues et précises analyses sur l’état de l’Europe ou du monde rédigées à notre demande. Des fiches de lecture également et un long hommage à l’un de ses plus proches amis, l’économiste Michel Albert, qui, sur sa demande, avait accepté de devenir Président d’honneur de l’UEF France.
Enfin, rappelons que Michel Albert, à qui Robert a rendu un profond et délicat hommage dans Fédéchoses et sur le site de l’UEF-France, et Robert ont très souvent répondu présents à nos initiatives, notamment ces dernières années : la campagne pour une Assemblée parlementaire des Nations unie, « New Deal 4 Europe » (pour un plan de développement durable et la création d’emplois) ou en signant comme Jean-Pierre Gouzy et Olivier Giscard d’Estaing, l’Appel à une démocratie globale lancé d’Argentine par les fédéralistes mondiaux, suite à une réunion à l’Institut d’études politiques de Paris.
Jean-Francis Billion
Vice-président de l’UEF France, Président de Presse fédéraliste
Montagnac la Crempse, jeudi 9 juillet 2020
Rejoignez l'UEF aujourd’hui
Vous souhaitez une Europe fédérale ? Alors agissez dès maintenant en rejoignant l’Union des fédéralistes européens.