Présidence française du Conseil de l’Union : lettre à Clément Beaune
Clément Beaune, secrétaire d’Etat aux affaires européennes - © MEAE/Judith Litvine
Le secrétaire d’État aux affaires européennes, Clément Beaune, a sollicité l’Union des fédéralistes européens (UEF-France) pour connaître les propositions de notre mouvement dans la perspective de la présidence française du Conseil de l’Union européenne qui se déroulera lors du premier semestre 2022.
Dans une lettre du 20 décembre 2020, Ophélie Omnes, présidente de l’UEF-France, a choisi de mettre l’accent sur les réformes prioritaires pour donner à l’Union européenne les moyens d’agir.
Pour les fédéralistes européens, « les défis historiques actuels démontrent qu’il serait pertinent de confier à l’Europe des compétences qui seraient exercées de la manière la plus efficace à l’échelle de l’Union, en particulier en matière de défense, de sécurité, de diplomatie, d’innovation et de recherche. Cela permettrait aux Etats membres et aux collectivités locales de concentrer leurs efforts budgétaires sur d’autres susceptibles de répondre à la demande de plus en plus forte de proximité et d’efficacité dans ces domaines de la part de nos concitoyens, telles que les politiques sociales, éducatives, culturelles, ou de sécurité du quotidien. »
En résumé, l’UEF-France soumet 15 propositions concrètes pour la Conférence sur l’avenir de l’Europe et la présidence française du Conseil de l’Union européenne de 2022 :
Conférence sur l’avenir de l’Europe :
- Une Conférence avec un mandat large, ne fermant pas la porte à une modification des traités
- Un engagement sur la prise en compte des résultats et sur l’impact de la participation citoyenne à la Conférence
- Un engagement sur l’association structurelle de la société civile à l’organisation de la Conférence
- Une Conférence qui ne se termine pas pendant la présidence française
Sur la présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022 :
- Des contributions des Etats membres dans chaque organisation internationale regroupées au sein d’une contribution unique de l’Union
- Des candidatures à la présidence de la Commission défendues par de véritables partis politiques européens
- Le développement d’un espace public européen dans lequel les citoyens sont réellement associés à la construction européenne
- La création de médias européens populaires à grande échelle
- Un Conseil de l’Union européenne devenant un « Sénat » des Etats membres pour un bicamérisme efficace et représentatif
- Moins de commissaires dans la Commission européenne
- Une armée européenne pour les opérations extérieures
- Un parquet européen avec des compétences élargies et des moyens administratifs et judiciaires propres
- Un service de renseignement européen
- Des ressources propres pour affirmer l’autonomie de l’Union et supprimer, à terme, les contributions des Etats membres
- Un réseau de grands pôles sanitaires européens
Vous trouverez ci-après le texte complet de la lettre.
Monsieur le Ministre,
Nous répondons par la présente à votre sollicitation du 24 novembre 2020, que nous vous remercions vivement de nous avoir adressée.
Mouvement pionnier dans l’histoire de l’intégration européenne, l’Union des fédéralistes européens (UEF) s’est engagée dès sa fondation, en 1946, pour l’élection du Parlement européen, la création d’une monnaie commune, la libre-circulation des européens, une Communauté européenne de défense, la convocation d’une Constituante européenne et l’avènement d’une fédération européenne. Elle a mené la campagne avec succès pour l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct et pour la création de l’euro.
En tant que mouvement militant indépendant et transpartisan, l’UEF promeut la nécessité d’une constitution fédérale européenne pour garantir un fonctionnement démocratique et efficace de l’Union européenne. Nous sommes convaincus que seule une Europe démocratique, basée sur les principes de subsidiarité et de solidarité, est de nature à constituer un ensemble politique efficace pour protéger ses citoyens tout en répondant aux défis mondiaux auxquels elle est confrontée.
Les enjeux actuels, historiques, démontrent qu’il serait pertinent de confier à l’Europe des compétences qui seraient exercées plus efficacement à l’échelle de l’Union, en particulier en matière de défense, de sécurité, de diplomatie, d’innovation et de recherche. Cela permettrait aux Etats membres, et aux collectivités locales, de concentrer leurs efforts budgétaires sur d’autres objectifs susceptibles de répondre à la demande de plus en plus forte de proximité et d’efficacité de la part de nos concitoyens, telles que les politiques sociales, éducatives, culturelles, ou de sécurité du quotidien.
Dans ce contexte, nous avons l’honneur de vous exposer ci-après nos propositions sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe, et les possibilités d’affirmation du sentiment d’appartenance européenne qu’elle pourrait engendrer, ainsi que sur les priorités de la présidence française à venir.
I. Sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe
En ce qui concerne la Conférence sur l’avenir de l’Europe, nous sommes d’avis que celle-ci doit être à la hauteur des ambitions affichées, à la fois sur la forme et sur le fond :
• Les organisations de la société civile, rompues à la démonstration de l’engagement citoyen, devraient être structurellement associées à la démarche, aux côtés des citoyens, dans le cadre d’un débat démocratique et participatif de large ampleur.
• La Convention devrait pouvoir bénéficier d’un mandat large, à la fois sur l’éventail de thématiques abordées, mais également sur les suites concrètes à envisager, de la proposition législative à l’éventualité d’une réforme des traités.
• Les institutions européennes et les gouvernements nationaux doivent s’engager à respecter le souhait formulé par les assemblées citoyennes et à le traduire dans des instruments législatifs.
Nous sommes convaincus que l’organisation d’une Convention de qualité, démontrant aux citoyens qu’ils peuvent avoir un réel impact sur la politique menée au niveau européen, est de nature à contribuer au développement d’un sentiment d’appartenance au niveau européen. Dès lors, la réussite d’un tel processus suppose que les discussions ne soient pas précipitées, ce qui risquerait d’être le cas si la Convention devait s’achever pendant la présidence française alors qu’elle n’a, au 20 décembre 2020, pas encore débuté.
II. Sur les priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022
Concernant les priorités qui devraient, selon nous, figurer au programme de la présidence française, nous estimons tout d’abord que la volonté que vous manifestez de défendre la place de l’Europe comme acteur global est essentielle. Ainsi, face aux enjeux toujours plus globaux qui s’imposent au continent européen, tels que le changement climatique, la question de la défense et la sécurité ou les droits de l’Homme, l’Europe doit s’imposer comme un leader mondial respecté, capable de faciliter le dialogue international et de parvenir à des accords multilatéraux, tout en faisant la promotion de ses valeurs fondatrices et de l’état de droit. Un message envoyé par la France, qui dispose d’une force diplomatique certaine, pendant sa présidence, constituerait un signal fort en ce sens.
Ainsi, sur le plan diplomatique, les participations des Etats membres de l’Union aux organisations internationales pourraient être regroupées et versées par l’Union européenne, voire, à terme, prises en charges par le budget européen, soulageant ainsi d’autant les budgets nationaux, et légitimant en interne, et en externe, le rôle de l’Union en matière de relations internationales. A titre d’exemple, la somme des participations des Etats membres au budget de l’Organisation Mondiale de la Santé pourrait faire de l’Union le premier contributeur de l’organisation sanitaire mondiale, ce qui serait de nature à augmenter son influence au niveau international. Cette mécanique pourrait bien sûr être envisagée dans d’autres enceintes multilatérales.
En matière de défense, il conviendrait de donner véritablement à l’Europe les moyens d’une politique de défense intégrée. Celle-ci devrait être complémentaire des engagements des Etats au sein de l’OTAN, ainsi que des prérogatives des Etats membres. Cela impliquerait concrètement de placer sous commandement opérationnel de l’exécutif européen, et sous le contrôle politique du Parlement européen, les forces militaires des Etats membres projetables à l’extérieur du théâtre européen pour satisfaire aux objectifs opérationnels qui seraient définis en commun. Créer une véritable armée européenne serait un acte de nature à favoriser l’émergence d’un sentiment d’appartenance à l’Europe parmi les citoyens.
En matière de sécurité, notre vision fédéraliste nous conduit à considérer que cette compétence doit, comme les autres, être exercée à l’échelon le plus pertinent. Dès lors, si la police du quotidien doit être gérée au niveau local, la lutte contre la grande criminalité organisée devrait relever du niveau européen, par le biais, notamment, d’un parquet européen disposant de compétences élargies et de moyens administratifs et judiciaires propres. De même, il apparaît aujourd’hui plus que nécessaire de mettre en commun les ressources et les organisations en matière de renseignements extérieurs au sein d’une agence de renseignement européenne, sous l’autorité de l’exécutif européen et contrôlée par le Parlement européen.
Concernant l’exercice de la citoyenneté au sein de l’Union, le développement impératif de la démocratie européenne, qui peut se concrétiser, entre autres, par la mise en œuvre réelle du principe du “Spitzenkandidat” et celui d’une réforme électorale nécessaire pour permettre aux Européens de sentir qu’ils font partie d’un même ensemble politique, devrait constituer un autre sujet important à porter par la présidence française. L’Union européenne ne pourra être une véritable construction politique que lorsque son arsenal institutionnel permettra aux citoyens de participer pleinement à sa construction et de se sentir représentés et influents sur les décisions prises par l’échelon européen. Cela conduit à la nécessité de favoriser l’émergence et la visibilité de véritables partis politiques transeuropéens, au-delà des listes transnationales.
Cette avancée nécessite également l’approfondissement d’un véritable espace public européen, qui peine encore à se développer et constitue pourtant une condition nécessaire au développement d’un sentiment d’appartenance européenne, et donc à l’affirmation d’une véritable Europe politique. C’est pourquoi il est essentiel de renforcer la place des sujets européens dans les médias nationaux, mais également de dépasser l’atomisation nationale du paysage médiatique européen. A ce titre, il pourrait être pertinent de défendre la création de médias européens populaires, sur le modèle des réseaux de médias existants dans de nombreux Etats fédéraux. Ces médias, télévisés et digitaux, fourniraient des journaux d’information, des créations, des programmes, notamment sportifs et culturels, aux chaînes nationales, à l’échelle de l’Union. Les chaînes pourraient bénéficier de ces contenus en appartenant à l’un ou l’autre de ces réseaux paneuropéens.
Par ailleurs, sur le plan institutionnel, le Conseil de l’Union européenne doit retrouver sa place d’organe représentatif exclusif des Etats membres, tel une chambre haute, afin de consacrer un véritable bicamérisme de la démocratie européenne, dans laquelle seraient ainsi représentés les citoyens et les territoires. La question de la composition de la nouvelle Commission, en vue des élections de 2024, doit pouvoir être réglée par la présidence française, en accord avec ses homologues européens, et sécuriser la proposition du Président de la République aux termes de laquelle la Commission, en tant que gouvernement européen, ne devrait plus compter un commissaire par Etat membre mais être composée d’un collège plus restreint, lié aux divers portefeuilles à mettre en œuvre.
Cette évolution doit s’accompagner de capacités budgétaires permettant à l’Union d’affirmer son autonomie stratégique et son rayonnement, tout en garantissant une solidarité à l’échelle européenne, en permettant aux Etats membres de se consacrer aux politiques publiques de proximité. A cet égard, l’Union des Fédéralistes Européens soutient la création de ressources propres nouvelles à l’échelle européenne, telles qu’une taxe carbone intérieure sur les combustibles fossiles, une taxe carbone extérieure sur les marchandises importées, une taxe sur les transactions financières, ou encore une taxe sur le numérique. L’objectif politique de long terme devrait consister à découpler les enjeux budgétaires nationaux et européens, et donc à mettre fin, à terme, au système des contributions nationales au budget européen. Cela aurait pour objectif final de doter l’Union de capacités budgétaires autonomes, libérant des ressources pour les Etats membres, et mettant fin aux blocages institutionnels que le budget européen ne manque pas de susciter.
Enfin, en matière de santé, la pandémie de coronavirus a démontré que les Etats ne peuvent résoudre seuls des crises sanitaires de cette nature. Il pourrait donc être utile de confier au niveau européen la responsabilité de l’organisation des moyens en matière de recherche fondamentale de santé, afin de disposer des ressources nécessaires, qui dépassent les capacités d’un seul Etat européen. Cela pourrait passer par un soutien au développement des réseaux de grands hôpitaux universitaires. Ce soutien européen à la création d’un véritable réseau de grands pôles sanitaires européens permettrait par ailleurs aux Etats membres de mieux se consacrer au développement et au soutien de leur réseau sanitaire de proximité.
En résumé, l’Union des Fédéralistes Européens vous présente 15 propositions concrètes pour la Conférence sur l’avenir de l’Europe et la présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022 :
Sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe
- Une Conférence avec un mandat large, ne fermant pas la porte à une modification des traités
- Un engagement sur la prise en compte des résultats et sur l’impact de la participation citoyenne à la Conférence
- Un engagement sur l’association structurelle de la société civile à l’organisation de la Conférence
- Une Conférence qui ne se termine pas pendant la présidence française
Sur la présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022
- Des contributions des Etats membres dans chaque organisation internationale regroupées au sein d’une contribution unique de l’Union
- Des candidatures à la présidence de la Commission défendues par de véritables partis politiques européens
- Le développement d’un espace public européen dans lequel les citoyens sont réellement associés à la construction européenne
- La création de médias européens populaires à grande échelle
- Un Conseil de l’Union européenne devenant un « Sénat » des Etats membres pour un bicamérisme efficace et représentatif
- Moins de commissaires dans la Commission européenne
- Une armée européenne pour les opérations extérieures
- Un parquet européen avec des compétences élargies et des moyens administratifs et judiciaires propres
- Un service de renseignement européen
- Des ressources propres pour affirmer l’autonomie de l’Union et supprimer, à terme, les contributions des Etats membres
- Un réseau de grands pôles sanitaires européens
Nous sommes convaincus que ces propositions sont de nature à renforcer le positionnement de la France à l’avant-garde de la construction européenne. Elles sont le symbole d’un engagement fort pour un renouveau démocratique de l’Europe, et constituent des propositions concrètes visant à affirmer le rôle de l’Union sur la scène internationale et à renforcer le sentiment d’appartenance des Européens à un espace politique à la fois puissant et solidaire.
L’UEF-France poursuit son engagement pour une Europe fédérale et demeure à votre entière disposition pour développer ses priorités et contribuer à faire vivre le débat européen en France et en Europe.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre très haute considération.
Ophélie OMNES
Présidente
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