Le “fédéralisme pragmatique” de Mario Draghi : un énième confédéralisme inefficace ? Réaction de l’UEF France au discours de Mario Draghi à Oviedo, le 26 octobre 2025
Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne qui a sauvé l’Euro et auteur d’un rapport éponyme en 2024 sur la compétitivité, a prononcé un discours le 24 octobre 2025, à Oviedo. Il indique notamment que face aux nouveaux défis qui mettent à mal les racines de la construction européenne, il faut passer à un mode d’intégration graduel qu’il qualifie de « fédéralisme pragmatique ».
L’UEF-France salue la démarche de Mario Draghi, qui n’a de cesse de porter et d’alimenter le débat nécessaire sur l’architecture institutionnelle de l’Europe. Si depuis plusieurs semaines, les déclarations politiques favorables au fédéralisme émergent timidement, il est important de permettre au débat sur cette question de se dérouler sur des bases claires et cohérentes. En parlant ouvertement de fédéralisme, Mario Draghi a le mérite de mettre sur la table cette option (en tout cas le mot) comme une alternative crédible au manque de vision actuel.
Mario Draghi part d’un constat que nous partageons, sur la nécessité de renforcer la légitimité démocratique de certaines décisions pour les rendre réellement européennes, notamment en matière de défense. De plus, il pointe, avec raison, les difficultés politiques actuelles pour avancer d’un coup vers une Fédération européenne.
Cependant, sa proposition de “fédéralisme pragmatique” n’est, en réalité, qu’un nouveau fonctionnalisme (ou gradualisme constitutionnel) pour contourner tant bien que mal 27 raisons d’État et leur cortège de véto. Son discours est donc un énième Discours de l’Horloge qui, s’il permet des réalisations concrètes, ne mène pas mécaniquement au fédéralisme politique.
Le fédéralisme, une exigence démocratique et une approche systémique
Mario Draghi oublie, au fil de son discours, l’exigence démocratique du fédéralisme. En proposant une “coalition des volontaires” sur chacun des aspects qui nécessitent une européanisation, il contourne, certes, la difficile unanimité qu’exigent les Traités européens. Pour autant, il ne propose en rien des institutions communes telles que la Commission européenne ou le Parlement européen, qui permettent d’équilibrer le pouvoir des États (qui s’exprime au travers des Conseils), de représenter un intérêt général européen et une volonté politique venant directement des citoyens et des citoyennes. Revenir à un fonctionnement où chaque secteur d’action serait régi par une “coalition d’États volontaires” ruinerait le peu de démocratie issue de l’expression des citoyennes et des citoyens européens.
Par ailleurs, en proposant une intégration uniquement sectorielle, c’est-à-dire au coup par coup en fonction des sujets et des opportunités, Mario Draghi oublie la dimension systémique du fédéralisme qui propose une architecture globale et cohérente, destinée à trouver un équilibre des pouvoirs et des niveaux de prise de décision, garantissant ainsi une indispensable lisibilité démocratique. Ce faisant, Mario Draghi se fond dans l’approche fonctionnaliste qui régit à l’intégration européenne depuis près de 80 ans : une intégration par à-coups, en fonction de l’opportunité, où l’on se glisse souvent dans un trou de souris en parvenant à un compromis au milieu de la nuit, laissant de côté la démocratie et ne résolvant que partiellement les problèmes, ce qui ne manque jamais de provoquer, tôt ou tard, de nouvelles crises. C’est ce que l’on a observé avec l’Euro, où sans union budgétaire et fiscale, la zone Euro a été confrontée à une crise de confiance des créanciers des États passant à deux doigts de faire exploser la monnaie commune. Sans le « quoi qu’il en coûte » de Mario Draghi, alors Président de la Banque centrale européenne, la confiance n’aurait peut-être pas pu être restaurée. Et cela, Mario Draghi le sait.
Le fédéralisme est par essence pragmatique
Le fédéralisme, depuis la Convention de Philadelphie de 1787, dans tous les pays où il a été mis en place est, de fait, le fruit d’une approche pragmatique. Il n’y a donc pas besoin de ce pléonasme pour parler du fédéralisme. Aux États-Unis, face à la nécessité de s’unir et à la volonté des 13 anciennes colonies de conserver leurs identités et leurs spécificités, le fédéralisme apporte une réponse et un équilibre permettant d’être à la fois un et plusieurs. De même, en Belgique ou au Canada, le fédéralisme demeure le compromis trouvé à un moment donné pour répondre aux attentes et aux revendications culturelles d’une partie de la population. En Allemagne, le fédéralisme se trouve être la solution considérée comme la plus pragmatique pour construire un système institutionnel moderne, garant de la démocratie par un équilibre fait de contre-pouvoirs entre les institutions, les Länders et l’État fédéral.
La mise en place du fédéralisme au niveau européen, qu’on le qualifie de pragmatique ou non, nécessitera un changement des traités actuels qui, non seulement nous enferment dans l’unanimité comme le dénonce Mario Draghi, mais ne donnent ni les moyens ni les compétences à l’Union européenne pour porter protéger efficacement ses Etats membres et sa population. Le bons sens et l’urgence devraient conduire les dirigeants européens à confier rapidement la diplomatie, la défense, la politique économique au niveau européen, financés par une fiscalité et un budget décidés par les représentants élus par les citoyens et les citoyennes au Parlement européen.
Dans le même temps, la Fédération européenne constituerait la meilleure garantie pour les États membres d’exercer librement leurs prérogatives en délimitant clairement ce qui relève du niveau fédéral de ce qui relève uniquement du niveau étatique ou infra-étatique. Le fédéralisme est le meilleur rempart contre tous les centralismes, qui ont montré leurs limites, en particulier en France.
Si le discours de Mario Draghi a le mérite de mettre le “F word” sur la table, il doit être réaxé afin de permettre un débat sur l’avenir institutionnel de l’Europe fait de nuance, de méthode et de clarté.
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