Résolution : “Pour un espace médiatique commun européen”
Résolution “Pour un espace médiatique commun européen”
Adoptée par le Conseil d’Administration de l’UEF France le 14 juin 2023 et à l’occasion du Jour fixe mensuel.
Des réseaux médiatiques européens transnationaux permettant l’affiliation des médias nationaux pour bénéficier de programmes d’information, de création et de divertissement destinés à tous les européens et les européennes, pour faire vivre la citoyenneté et la démocratie européennes.
le 14 juin 2023 et à l’occasion du Jour fixe mensuel
Face à la difficulté pour les médias français d’intéresser les citoyens au débat politique européen, ou de le rendre intéressant, la tentation est souvent grande de laisser une place importante aux sujets politiques les plus clivants sur le sujet. Par ailleurs, en l’absence d’un véritable espace public européen populaire, les partis nationaux préfèrent surjouer leurs antagonismes dans l’espace public national, avec les médias nationaux à la recherche d’audience dans un paysage médiatique multicanal et ultra concurrentiel.
L’élection européenne est ainsi, en particulier en France, plutôt l’occasion d’exprimer son opposition aux politiques nationales. Dans cette élection, les velléités de mise en scène de l’Europe, à travers les candidats européens à la présidence de la Commission, se heurtent en effet à un cadrage médiatique national, rendant inopérant le dispositif de désignation du chef de l’exécutif européen imaginé par le traité de Lisbonne, en 2014 comme en 2019.
Créer un véritable espace public européen est également la condition préalable et nécessaire au développement du sentiment d’appartenance à l’UE, et donc à l’affirmation d’une véritable Europe politique, tout en dépassant les blocages géographiques inutiles. S’il est essentiel de renforcer la place des sujets européens dans les médias nationaux, la structure de l’audience et le modèle économique national doivent nous conduire à dépasser l’atomisation nationale du paysage médiatique européen.
Il est en effet indispensable de mettre en regard un espace de débat public à la même échelle que la démocratie européenne, sans se substituer aux espaces publics nationaux, afin de la rendre plus transparente, légitime et susciter de l’engagement des citoyens et des citoyennes européens, conformément à l’article 11 du TUE qui dispose que “Les institutions donnent, par les voies appropriées, aux citoyens et aux associations représentatives la possibilité de faire connaître et d’échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines d’action de l’Union”.
L’espace public digital, même s’il est plus horizontal, reste largement nationalisé pour des raisons notamment linguistiques et structurelles. L’espace public transnational est la norme depuis de nombreuses années dans les Etats fédéraux, qui accueillent par ailleurs 40% de la population mondiale.
Mais les modèles américain, brésilien ou indien, ne sont évidemment pas identiques ni réplicables. Leur point commun réside toutefois dans le maintien d’un lien au-delà des Etats fédérés et le développement d’un sentiment d’appartenance à travers des médias partagés à l’échelle fédérale. Ce sont des vecteurs d’événements, d’informations, de programmes culturels et sportifs à travers lesquels chaque américain, chaque brésilien, chaque indien, peut s’identifier et cultiver son identité nationale fédérale (au niveau de la fédération), complémentaire et non contradictoire avec son identité nationale fédérée (son État fédéré).
A cet égard, une Europe fédérale peut donc émerger plus facilement à travers un véritable espace médiatique transnational populaire. Il s’agit de défendre la création de véritables médias européens indépendants, publics et privés, décentralisés, mutualisés, sur le modèle des réseaux de médias existants dans de nombreux Etats fédéraux. Ces médias, télévisés et digitaux, fourniraient des journaux d’information, des créations, des programmes, notamment sportifs, à l’échelle de l’Union, aux chaînes nationales qui pourraient bénéficier de ces contenus en s’affiliant à l’un ou l’autre de ces réseaux paneuropéens. De nombreux réseaux de ce type existent déjà, à l’exemple d’ABC aux USA ou de Rede TV au Brésil, qui alimentent des dizaines de stations affiliées dans les États américains et brésiliens.
Les expériences transnationales d’Arte, d’Eurosport ou d’Euronews seraient précieuses mais sont très largement à dépasser si l’on souhaite que l’Europe politique change d’échelle. Eu égard au potentiel économique lié à une audience à l’échelle de l’Europe, il est clair que des investisseurs privés pourraient s’engager dans cette voie, à charge pour l’Union de définir le cadre réglementaire voire d’apporter des concours incitatifs, et de créer également un réseau de service public à l’échelle européenne.
La question des barrières linguistiques en Europe est aujourd’hui de moins en moins un problème techniquement insoluble, tout en constituant une richesse pour notre continent. Les dispositifs digitaux de traduction et de sous-titrage, en recourant en particulier à l’intelligence artificielle, sont désormais suffisamment performants pour parfaire une approche à la fois unitaire dans les programmes à diffuser et diverse dans leur réception, tout en permettant de partager l’actualité dans chaque Etat membre.
Concrètement, si les représentants des partis politiques européens, des syndicats européens, de la Commission, de la société civile européenne, pouvait débattre ensemble dans les médias les plus populaires de 27 pays de l’UE, c’est une véritable nouvelle donne sur la question de l’appartenance à un même ensemble politique pour les 450 millions d’européens dont les espaces publics sont aujourd’hui presque totalement étanches les uns aux autres.
L’atomisation des espaces publics nationaux constitue aujourd’hui par nature un terreau favorable à l’expression des nationalismes, des discours anti-européens et de la logique du bouc-émissaire dont Bruxelles est la cible privilégiée. Les exemples étrangers montrent que cela est possible, que cela correspond à l’identité européenne, que le potentiel économique est là, et que les technologies sont prêtes. L’urgence est d’autant plus grande que cela pourrait constituer une offre alternative dans les pays européens où le pouvoir limite la liberté de la presse, permettant concrètement d’incarner l’attachement de l’Union aux valeurs démocratiques.
L’UEF France s’engage donc à militer pour ce projet en France et à le porter au comité fédéral de l’UEF Europe, afin de créer un véritable espace public européen, condition nécessaire à une fédération européenne démocratique.
Contexte :
- Radios, journaux télévisés traditionnels et chaînes d’information en France : seuls 3% du temps d’antenne étudié en 2016 et 2017 sont consacrés à l’actualité européenne.
- 73% des Français se déclarent mal informés sur les questions européennes.
(Renforcer l’information des Français sur l’Union européenne : le défi du cycle européen 2019-2024, Fondation Jean Jaurès, décembre 2019).
- 8 français sur 10 et 6 européens sur 10 qui ne se considèrent pas bien informés sur les affaires européennes.
- 40% des français et 58%des européens disent connaître leurs droits en tant que citoyens de l’UE.
- 48% des français et 61%des européens pensent que les parlementaires européens sont directement élus par les citoyens.
(Standard Eurobarometer 98 - Winter 2022-2023)
Exemple de mise en œuvre
L’Union européenne pourrait décider d’incitations fiscales favorisant la production et la diffusion d’un même programme européen TV et digital quotidien dans les médias nationaux existants. Il s’agirait d’appliquer un taux de TVA réduit, ou des exonérations de certaines charges sociales ou fiscales, aux coûts de production et de diffusion des programmes éligibles. Ces programmes devraient pour être éligibles :
- toucher un potentiel de référence correspondant à au moins 75% des Etats membres et 75% de la population de l’Union
- être diffusés sur au moins un média national dans chacun des Etats membres concernés, sans péage et sur la TNT
- être produits et diffusés à l’identique
- comporter un minimum de deux heures de contenus quotidiens dont 50% d’information d’intérêt général
- utiliser chaque semaine au moins 5 langues officielles de l’Union
- être traduits en langue nationale et/ou régionale dans chaque Etat membre
- alimenter une plateforme digitale sans abonnement, commune et multilingue
- être hébergés au sein d’une structure juridique ad hoc établie au sein de l’Union
- garantir le respect de la liberté, le pluralisme, la transparence et l’indépendance des médias tels que définis dans les conventions internationales et les lois européennes
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