Victoire de Trump : pour une diplomatie et une défense européennes et démocratiques

, par Chloé Fabre

Victoire de Trump : pour une diplomatie et une défense européennes et démocratiques

Après plusieurs mois d’une campagne très serrée, les résultats le sont beaucoup moins. Les Républicains remportent la majorité de quasiment l’ensemble des institutions fédérales : la Cour Suprême (qui juge du respect de la Constitution et du fédéralisme), le Sénat (qui représente les États) et la Maison Blanche, et probablement la Chambre des représentants (qui représente les habitants). Donald Trump est réélu avec les mains libres pour renforcer l’isolationnisme américain assis sur son isolationnisme, le virage vers l’axe Asie-Pacifique et pour reprendre la sape de la démocratie libérale et des droits fondamentaux.

Ce résultat est terrible. Nous devons nous attendre à une augmentation de l’insécurité mondiale : les dictateurs et dirigeants antidémocrates vont se sentir pousser des ailes, qu’il s’agisse de Vladimir Poutine, de Benjamin Netanyahou, de Viktor Orban ou d’autres. Le repli américain aura également des conséquences majeures sur le soutien diplomatique et militaire à l’Ukraine.

Face à ce changement durable de paradigme, l’Europe doit réagir.

La présidente de la Commission a choisi de créer un poste de commissaire à la Défense dans son collège, en plus du poste de Vice-Présidente Haute-Représentante. L’articulation entre les deux devra être construite pour que cette décision marque un pas concret vers une politique industrielle de défense. Cependant,la politique industrielle vers laquelle s’oriente l’Union ne peut pas suffire face aux enjeux actuels. C’est d’une défense (donc une armée) et d’une diplomatie communes dont nous avons besoin.

Dans un monde instable, où nous risquons de ne plus pouvoir compter sur notre allié historique, nous avons besoin d’assurer nous-mêmes notre défense. Aucune armée européenne actuelle n’est capable de soutenir une guerre de haute intensité comme la connaît actuellement l’Ukraine. La dispersion de nos armées, de nos armements et de nos financements font de nous des puissances moyennes et incohérentes entre elles, qui plus est dépendantes de l’industrie d’armement américaine. Si nous voulons tenir face à une possible attaque d’un État tiers, il nous faut atteindre cette taille critique d’autonomie stratégique. D’autant plus quand ces États ont la dimension d’empires comme la Russie ou la Chine.

L’Union peut d’ores et déjà mettre en commun ses unités de défense, mais plus encore, elle peut prendre une initiative commune qui fédère tous les membres de nos sociétés sans s’arrêter aux questions de frontières : en créant une « Garde européenne » ouverte à tous les citoyens européens volontaires, l’Union pourrait disposer enfin d’une structure de grande dimension mais relativement peu coûteuse, pour mobiliser des femmes et des hommes dont ce n’est pas le métier, pour sécuriser ou simplement intervenir lors d’une crise ou d’un événement important.

Enfin, à l’image du Corps européen qui compte à peine 5 000 personnes actuellement, nous devons créer aussi une force de réaction rapide européenne avec un État-major intégré. C’est par l’habitude d’entraînement en commun, par des procédures et des équipements communs, que cette armée européenne atteindra sa taille critique et une situation de complémentarité où chaque armée nationale apportera sa spécificité et sa force. Nous ne partons pas de zéro, des collaborations ont lieu depuis de nombreuses années, mais nous devons accélérer cette intégration pour assurer notre sécurité et être aptes à intervenir ensemble sur un théâtre d’opération.

Nous pourrions ainsi construire un pilier européen de l’OTAN, en mesure de réagir face à un potentiel désengagement américain. La présidence assurée par Mark Rutte, ancien Premier ministre néerlandais qui connaît bien le fonctionnement européen, est une opportunité à saisir.

Comme en 1951, lors des discussions sur la Communauté européenne de défense, nous maintenons qu’il y a une contradiction fondamentale dans la construction d’une armée européenne sans gouvernement pour définir les orientations. Le gouvernement italien d’Alcide de Gasperi avait d’ailleurs indiqué qu’il ne pouvait pas accepter un projet de communauté de défense sans institutions supranationales et notamment un Parlement et un budget militaire commun pour en assurer le financement et le contrôle.

Mais l’armée et la défense ne suffisent pas et ne sont qu’une des composantes de notre existence sur la scène internationale. Nous devons construire une diplomatie commune. L’Europe ne peut plus s’offrir le luxe d’être divisée sur des sujets aussi essentiels pour notre sécurité, que la guerre en Ukraine ou le conflit au Proche-Orient. Actuellement, l’Union entretient la confusion entre les rôles de la Présidente de la Commission (Ursula von der Leyen), du Président du Conseil (Charles Michel pour encore quelques jours) et du Vice-Président - Haut Représentant. On se souvient encore de l’image désastreuse que l’Europe a laissée en Turquie lors d’une visite où Erdogan n’avait prévu qu’un seul siège alors qu’ils étaient deux à représenter l’UE.

Il existe un continuum entre diplomatie et défense.

Quelle attitude adopter face aux Etats-Unis ? Quelle position allons-nous défendre à l’OTAN ? Aux Nations unies, où la France et le Royaume-Uni se retrouvent minoritaires face aux puissances illibérales ? Allons-nous continuer à être le premier pourvoyeur d’aide humanitaire à Gaza sans avoir un mot à dire dans les négociations de cessez-le-feu et de paix ?

La Commission européenne, en tant que gouvernement européen, peut et doit pouvoir parler pour l’ensemble de l’Union, en s’appuyant par exemple sur la connaissance et les expertises des chancelleries des Etats-membres. Avec la diversité de nos liens historiques, l’Europe est capable de tisser des liens avec le monde. Ce n’est que si nos positions sont européennes qu’elles ont une chance d’exister sur la scène internationale qui se polarise autour de grands empires.

La sécurité des Européens est menacée, par des guerres de haute intensité comme la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, par la déstabilisation de certaines zones et par la crise écologique qui va raréfier les ressources et occasionner des conflits d’approvisionnement. L’Union européenne n’est pas prête pour le monde qui arrive. Mais, contrairement à l’élection du président des Etats-Unis que nous subissons, le choix nous appartient à nous, Européens, de nous donner les moyens d’assurer notre sécurité et de pouvoir exister sur la scène internationale.. Face au mur de l’histoire, il est urgent d’agir pour se doter d’une défense et d’une diplomatie communes, car la construction d’une force de défense européenne prendra du temps

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