Cour de Justice de l’Union européenne : fake news nationaliste sur le temps de travail des militaires
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
Garde du palais présidentiel à Ljubljana - MZaplotnik via Wikimedia Commons
Jeudi 15 juillet 2021, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt portant sur le temps de travail des militaires [1]. Cette décision constate l’état du droit et demande aux juridictions des États-membres de se prononcer selon la nature de chaque activité.
Un militaire slovène a sollicité la justice car il estime que les astreintes auxquelles il était soumis constituaient un temps de travail effectif devant lui être payé. Dans le doute, la Cour Suprême de la République Slovène a soumis une question préjudicielle à la CJUE pour savoir si la directive devait s’appliquer aux militaires. La cour européenne est, pour des raisons évidentes de cohérence, seule compétente pour interpréter les lois européennes.
La loi européenne dont il s’agit, c’est la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail [2]. Elle a été adoptée par les représentants des gouvernements des États-membres siégeant au Conseil et par nos élus au Parlement européen. Elle vise à tirer vers le haut les dispositions en vigueur au sein de l’Union en définissant des plafonds que les législations des États ne peuvent dépasser, ces dernières pouvant naturellement prévoir des dispositifs plus protecteurs des travailleurs. Ces garanties sont par exemple une durée de travail inférieure à 48 heures par semaine ou encore un repos hebdomadaire de 24 heures sans interruption par période de 7 jours et 11 heures de repos consécutives par période de 24 heures [3].
La Cour observe que, selon le droit en vigueur, les membres des forces armées des États-membres ne sont pas exclus dans leur intégralité et en permanence du champ d’application des directives concernées
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Notamment, certaines activités des militaires concernent des services d’administration, d’entretien, de réparation, de santé, (…) ne présentant pas des particularités s’opposant à toute planification du temps de travail respectueuse des exigences imposées par la directive
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Naturellement, la nature des activités peut justifier des exceptions, et la CJUE cite de tels cas : formation initiale, entraînement opérationnel, engagement militaire, évènements graves et exceptionnels, entraves au bon fonctionnement des opérations. Elle laisse les juridictions nationales libres d’apprécier les circonstances.
La campagne d’intox des nationalistes
Sans prendre le soin d’étudier plus avant le sujet, les nationalistes, archéo-gaullistes et autres adeptes de la désinformation se sont empressés d’en déformer le sens et de dénigrer une décision qui ne fait qu’appliquer la loi et protéger les droits des citoyens européens.
Sans surprise, nous devons subir des envolées lyriques militaristes, des hymnes patriotiques ridicules, des oraisons identitaires abracadabrantesques.
Au-delà des usual suspects de l’extrême-droite hostile à l’idée européenne, nous constatons aussi des attaques issues de nationalistes habituellement plus modérés.
L’ancien premier ministre, Edouard Philippe a ainsi commis une tribune hors sujet sur ce ton qu’a dénoncé à juste titre l’ancien président de l’UEF-France Jean-Guy Giraud [4].
Plus regrettable, le porte-parole du ministère des Armées diffuse lui-même sur Twitter des élucubrations relatives à cette décision [5]. Et la ministre Florence Parly a enchaîné avec une tribune farfelue de la même eau.
Ils déforment ainsi le sens de la décision européenne par des analogies avec des situations qui en sont expressément exclues, ni d’ignorer que la Cour de Justice confie aux autorités des États-membres le soin de définir les situations où la directive s’applique et celles où elle ne s’applique pas.
Appliquer le droit, protéger les travailleurs.
La cour de justice se contente de constater que la loi européenne confère des droits à tous les travailleurs européens.
Des exceptions liées aux particularités de chaque activité sont possibles. Mais ce n’est pas l’appartenance d’une personne à un corps qui suffit à justifier l’exception mais bien la tâche qui lui est assignée dès lors que l’exception est nécessaire.
Le problème semble être ici que l’administration et le gouvernement rechignent à se mettre en conformité avec une loi européenne de 1993, modifiée en 2003, dont on sait depuis longtemps qu’elle s’applique à tous les travailleurs. La cour de justice s’était ainsi déjà prononcée sur le cas des gendarmes [6]. Il serait plus que temps de s’adapter et de prévoir un cadre législatif et réglementaire pour définir les activités justifiant des exceptions et rémunérer comme il se doit les personnels militaires dans les autres cas. La balle est du côté du gouvernement français. Depuis vingt-huit ans.
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