Audition des membres de la Commission : la démocratie européenne en action
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
Audition de Paolo Gentiloni au Parlement européen le 3 octobre 2019 - EP-092280 - Photographe : Jean Christophe VERHAEGEN - © European Union 2019 - Source : EP
Les comparaisons sont toujours utiles, surtout en matière de démocratie. Or, combien de fois critique-t-on l’« Europe », sans même chercher à vérifier si dans les États-nations c’est mieux ! Si chaque citoyen avait la possibilité -ou la curiosité- de comparer chaque action publique d’un État-membre avec ce que fait l’Union européenne, il y aurait sûrement moins de malentendus sur cette dernière ! Et je suis souvent interpellé sur l’absence de démocratie de « l’Europe », et ce quelque soit les auditoires – de tout bord et de toute classe sociale – rencontrés lors de mes interventions publiques.
Certes, ni l’Union européenne, ni les États qui la composent ne sont totalement démocratiques ; Winston Churchill avait cette formule lucide : « la démocratie est le pire de tous les régimes, à l’exception de tous les autres ». C’est très bien résumé. La démocratie pure et parfaite n’existe pas, nulle part, ce serait faire abstraction des mensonges, de la manipulation, de la corruption, des lobbies, et j’en passe, mais c’est quand même une bonne base, à commencer par des élections libres et non faussées, comparée à ce qui se passe dans la moitié des États de notre planète...
Quand je me contemple, je me désole, mais quand je me compare, je me console, dit l’adage.
Et il vaut quand même mieux vivre dans un des États-membres de notre Union, certes très perfectible (surtout pour un Fédéraliste !), où, justement, la critique est libre ! « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire », disait avec raison Saint Juste.
Alors oui, trois fois oui, le processus d’audition par le Parlement européen des candidats(e) à un poste de commissaire de la Commission européenne est parfaitement démocratique, et le seul qui soit. Les candidats sont certes proposés par le gouvernement de leur propre pays, mais c’est bien le Parlement européen qui a le dernier mot en validant leur candidature, ou en la rejetant.
Certes, le Parlement de Strasbourg a mis du temps pour acquérir ce pouvoir considérable et indispensable.
Au début de la construction européenne, on crée, en 1958, une « Assemblée parlementaire européenne », ersatz (en étant gentil) d’un vrai Parlement. Car cette Assemblée n’était pas élue au suffrage universel direct, elle n’était donc pas la voix des peuples, et elle avait très peu de « pouvoir » jusqu’en 1979.
En 1979, avancée démocratique radicale, car l’ élection du Parlement se fait dorénavant au suffrage universel direct. Il nous faut au passage remercier ici les dirigeants français et allemands de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, pour cette évolution légitime et attendue. Cette instance devenait enfin la voix des citoyens.
Au-delà du mode électoral, le parlement européen ne cessera, lentement (hélas) mais sûrement de grappiller, mandature après mandature, des pouvoirs.
Aujourd’hui, la neuvième législature est opérationnelle depuis le 1er juillet, et le parlement vote sur environ 85% des thématiques. Les chefs d’état et de gouvernement continuent à faire de la résistance sur des sujets qu’ils considèrent régaliens pour sauvegarder « leur » souveraineté nationale : la fiscalité, la sécurité et la défense, la diplomatie, les accords internationaux, commerciaux et autres.
En outre, ils continuent à interdire à ce parlement tout droit d’initiative des lois. Ce verrou majeur – inacceptable en démocratie – finira bien à son tour par sauter, d’autant que la nouvelle présidente de la Commission européenne, « au nom de l’intérêt général des peuples », le réclame aussi, en promettant même de faire cause commune avec le Parlement.
Petit bémol toutefois : encore faut-il se donner des moyens pour exercer les droits que l’on vous donne. En France, par exemple, notre Assemblée nationale a bien le droit d’initiative des lois...mais elle ne l’utilise guère ! Seulement 4% des lois votées proviennent du Parlement. Et 96% du gouvernement ! Certes, d’autres parlements nationaux dans l’Union fonctionnent un peu mieux, proposent nombre de lois. Mais en France, personne ne valide les ministres et secrétaires d’État. C’est le fait du Prince. Même le Premier Ministre, qui est pourtant le chef du Gouvernement, n’a pas les coudées franches sur le choix de « ses » ministres. En cas de dissensus, c’est le président de la République qui a le dernier mot...Comme sur tous les sujets d’ailleurs. Le pouvoir d’un président de la cinquième République est absolument exorbitant,supérieur à celui du président des États-Unis ! Ce dernier a en face de lui le Congrès, la Cour suprême et peut même être destitué (procédure de l’impeachment). Rien de tel en France, le président est irresponsable devant le parlement, et peut en cas de crise politique grave déclencher l’article 16 de la Constitution (qui date de 1958 !) lui conférant les « pleins pouvoirs », article que je recommande à chacun de lire attentivement, car c’est hallucinant, en 2019 !!
Le Parlement européen, de par son mode électoral ( scrutin de liste à un tour, à la proportionnelle) respecte la diversité politique des sept partis européens. La comparaison avec notre parlement national est affligeante. Nos députés nationaux sont élus au scrutin majoritaire à deux tours, permettant de dégager des majorités conséquentes laissant le gouvernement gouverner à sa guise, sans contre-pouvoir parlementaire réel. Et même en cas de fronde de sa majorité, qui rejoindrait partiellement voire totalement l’opposition, tout est prévu, avec le fameux 49-3, qui permet au gouvernement de « passer en force », en engageant sa responsabilité devant le parlement, c’est à dire en remettant en jeu par cet article sa pérennité au pouvoir. En clair, si la motion de censure est rejetée, la loi est adoptée sans vote (!) ; si la motion est votée (cas rarissime voire impossible compte tenu des majorités en présence..) le gouvernement tombe entraînant la dissolution de l’Assemblée. Ce qui freine les ardeurs des députés, qui souhaitent faire tout leur mandat...
La première cause de ces faiblesses démocratiques est que le vote législatif se tient après l’élection présidentielle, ce qui n’était pas le cas dans les débuts de la cinquième République...
D’où des majorités énormes, qui suivent la logique du choix présidentiel, et donc les députés de la majorité seront au service du pouvoir exécutif en place durant cinq ans, pour voter toutes les lois qu’il veut...Très efficace, mais ce n’est pas très démocratique, tout cela...
Mais le second problème est bien pire encore : en France, depuis des décennies, les gouvernements successifs – de droite, de gauche ou du centre – refusent consciencieusement d’introduire une vraie proportionnelle dans les élections législatives, malgré les demandes réitérées des partis d’opposition.
Cela rend notre assemblée nationale surréaliste, peu représentative, avec un nombre de députés d’extrême droite et gauche sous-représentés par rapport à leurs résultats électoraux.
Certes la minoration de ces extrêmes arrange beaucoup de monde sur le plan politique, mais il faut reconnaître que c’est juridiquement et démocratiquement très contestable. Il faut juste avoir l’honnêteté de le reconnaître... Le parlement européen est bien plus démocratique, car respectueux des résultats électoraux de chaque parti pour une juste répartition des sièges.
Autre problème, la « Chambre haute » (le Sénat), n’est pas élue au suffrage universel direct, mais par un collège d’élus territoriaux, ce qui la rend moins démocratique car éloignée du peuple. Et en outre, le Sénat a moins de pouvoir que l’ Assemblée nationale , car en cas de divergence avec la Chambre basse (l’Assemblée) sur un projet de loi (ce qui est très fréquent), il y a un « ballet » d’aller-retour entre les deux chambres, mais au bout c’est bien l’Assemblée qui a le dernier mot.
Le système parlementaire français est donc très perfectible, comparé à beaucoup d’autres, en Europe ou ailleurs. Les majorités de « godillots », pour reprendre une ancienne formule qui perdure dans les faits, ont pour effet d’appauvrir les débats de fond sur les projets de loi et d’orienter les amendements dans le sens voulu par l’exécutif … Quand il y a 300 députés issus du parti ultra majoritaire, il ne peut plus y avoir de véritable débat contradictoire. La pléthore d’amendements déposés par l’opposition (amendements parfois loufoques ou débiles d’ailleurs) ne suffit qu’à ralentir le processus de votation, et non à le bloquer .
Même la diminution du nombre -pléthorique- de députés (574 !) tarde à venir, alors qu’on le promet régulièrement...
Le Parlement français n’a aucun pouvoir sur l’exécutif, à la différence du Parlement européen. Le président de la République choisit son Premier ministre, Chef du gouvernement, et celui-ci compose son gouvernement. A cet égard il tient informé le président de la République, clé de voûte des institutions, du choix de sa liste. En cas de désaccord fort sur un nom, on imagine mal que le Premier ministre impose son choix...
Une fois que le gouvernement est nommé, le Premier ministre va à l’Assemblée pour faire une « Déclaration de politique générale », sorte de grande feuille de route pour les actions à mener par les ministres, et dont certaines seront oubliées au gré des aléas...Mais l’Assemblée nationale ne peut rejeter aucun ministre ou secrétaire d’État, même sur l’éthique ! Il n’ y a aucune audition des ministres, même pas sur des précisions sur leur poste ! Ce qui est possible dans d’autres Assemblées d’États-membres. En France, face aux multiples affaires de corruption, les prétendants à un poste ministériel doivent désormais déclarer tout leur patrimoine (comme les députés, d’ailleurs). Mais on reste sur du « déclaratif », sans aucun contrôle. Donc d’autres scandales éclateront !!
Notre système parlementaire est très en retard sur son contrôle du pouvoir exécutif ; il faut le dire et le redire, car visiblement aucun parti politique français ne propose une – sérieuse – réforme ! Il est vrai qu’une fois arrivé au pouvoir, cette situation est tellement confortable...
Le parlement européen fonctionne différemment, heureusement. Il exerce un triple pouvoir : pouvoir législatif : voter et amender tous les projets de loi ; pouvoir budgétaire : il contrôle et vote le cadre financier pluriannuel (7ans) et vote aussi le budget annuel de l’UE ; pouvoir de contrôle : audition puis vote du président (e) de la Commission européenne, puis auditions de tous les candidats Commissaires puis vote du Collège des Commissaires. Et le Parlement exploite pleinement, désormais, ce pouvoir. Il a d’ailleurs récusé deux Commissaires proposés (celui de Hongrie et celle de Roumanie), avant même leurs auditions, pour conflits d’intérêt présumés. La troisième rejetée est française (Sylvie Goulard) après deux auditions poussées et plusieurs questions écrites, pas pour ses grandes compétences, mais pour des raisons d’éthique (conflit d’intérêt présumé avec deux procédures en cours) et de portefeuille de mission trop chargé. Sans doute aussi pour des raisons politiques, sans dire pour autant que ce fut la « seule » raison, juste pour donner un camouflet à Emmanuel Macron qui avait dédaigneusement torpillé le principe du « Spitzenkandidat », c’est à dire la désignation du chef du parti européen arrivé en tête aux élections législatives européennes, en l’ occurrence Manfred Weber, le chef de file de la liste PPE, arrivé en tête à nouveau, quoique en baisse. Ce dernier a été écarté malgré sa désignation officielle par le PPE lors de son congrès tenu à Helsinki en septembre 2018...Ce qui est proprement scandaleux et attentatoire au fonctionnement et règles de l’UE . En plus, il y avait là une avancée démocratique !
Imagine-t-on un instant pareille situation en France, où l’ Exécutif se permettrait de refuser le candidat d’un parti démocratiquement désigné ? On imagine le tollé ! C’est dire à quel point il y a encore un fossé entre les institutions européennes et le niveau national, où même un Chef d’État se déclarant europhile nie le fonctionnement même de la démocratie institutionnelle européenne en le sabotant ! Sans d’ailleurs que cela émeuve beaucoup les media nationaux ni la classe politique française. C’est cela, qui me navre encore plus ! C’est vrai, j’oubliais que Bruxelles, c’est loin !!
Déjà , pour la validation de la candidature pour le poste de président de la Commission, l’audition, puis les questions avaient été redoutables, et le vote du Parlement européen en faveur de Mme Ursula von der Leyen, au final, très serré (9 voix de majorité seulement, soit 51% !). bien moins que le vote pour Jean-Claude Juncker, en 2014. Voilà qui était prémonitoire...
Que de chemin parcouru pour le Parlement européen, depuis 1979 !
Même s’il y avait déjà eu quelques précédents, l’affaire des candidats-commissaires rejetés cette fois-ci confirme que la seule institution représentant la voix des citoyens européens prend son autonomie face aux États-membres et à leurs dirigeants ! Et ce en se basant sur trois critères simples, mais fondamentaux : compétence, probité et indépendance. Et ce qui est nouveau, c’est que l’on a « osé » recaler un candidat d’un grand pays fondateur de l’Union, la France en l’occurrence.
Et selon un principe démocratique puisque les candidats doivent convaincre les 2/3 de parlementaires. Je suis persuadé que, dans cinq ans, aucun chef d’État ne pourra plus écarter de sa propre initiative un candidat désigné par un vote de son parti à la présidence de la Commission. Ou du moins, il faudra faire des tractations en amont !
Les pouvoirs – et coutumes- du parlement européen tranchent radicalement avec ceux d’un parlement national comme celui de la France. A Strasbourg, pas d’idéologies politiques qui enfermerait l’instance dans une discipline de « vote mécanique » selon son appartenance partisane. Le parlement européen repose et travaille sur des majorités de compromis, et ça fonctionne très bien. Grâce à ce mode plus consensuel, il parvient à améliorer les projets de lois, de concert avec tous le partis démocratiques, surtout depuis les dernières élections, qui lui imposent des négociations permanentes à au moins trois ou quatre groupes politiques, et plus à un duopole PPE/ S&D. Ce respect et cette efficacité permettent de s’accorder et de voter des textes plus consensuels.
Le Parlement français, comme d’autres, gagnerait à s’inspirer du modèle parlementaire européen !
Le Parlement européen vient de s’affranchir, dans ces auditions, des États-membres et de l’inter-gouvernementalisme effréné. On est certes très loin, hélas, d’un système fédéraliste (auditer un...chef d’État, par exemple !) mais ce parlement prend de l’envergure. Il audite aussi, deux fois par an, les présidents de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne ; il peut convoquer à loisir n’importe quel Commissaire européen. Les lignes bougent, et c’est heureux .
Il reste à convaincre les chefs d’État et de gouvernement de lâcher du lest (le dernier carré...) concernant leur sacro-saintes « prérogatives » régaliennes, afin que le parlement puisse enfin voter 100% des directives, sur tous les sujets, sans exception. Il doit impérativement aussi avoir le droit d’initiative des lois, en partage avec la Commission européenne.
Ce seront les enjeux et défis de cette neuvième législature.
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