Catalogne : il est temps d’oser le (vrai) fédéralisme La situation en Catalogne paraît s’emballer. Où en sera-t-elle lorsque vous lirez ces lignes ?
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
Face à une situation critique, le gouvernement espagnol perd son calme et menace de recourir à la manière forte, ce qui pourrait déboucher sur une nouvelle guerre civile. Or, s’il est inacceptable que les revendications régionales ne trouvent d’autre issue que dans une déclaration d’indépendance, les fédéralistes, qui accordent tant d’importance au principe de subsidiarité, devraient se garder de s’en tenir sans autre examen à l’intangibilité des frontières. Ne voir dans l’exaspération de certains peuples à l’égard de pouvoirs centralisés irrespectueux des « identités » locales que de dangereuses manifestations d’un nationalisme d’un autre âge, c’est en quelque sorte renier au nom de la défense d’un ordre « établi » les principes mêmes qui fondent la vision fédéraliste de l’organisation du monde.
Une organisation à caractère fédéral peut constituer l’aboutissement de deux évolutions en apparence contradictoires. Ou bien des entités ici, par hypothèse politiques, se regroupent afin de gérer ensemble des intérêts communs – et n’est-ce pas ce que nous tentons de faire en Europe depuis la fin du deuxième conflit mondial ? –, ou bien des tensions au sein d’agrégats, généralement constitués par la force au cours de l’histoire, d’entités présentant certaines caractéristiques respectables qui les différencient nettement au point qu’on évoque des « identités » distinctes, amènent à envisager la délégation de certains pouvoirs de décision qualifiés de « compétences » à un niveau d’organisation plus restreinte. Les revendications séparatistes ou autonomistes n‘appellent pas l’indépendance politique totale et la rupture complète.
Dans ce dernier cas, on parle de dévolution, de décentralisation (à distinguer de la « déconcentration », une notion plus spatiale que politique), de gouvernement local, voire d’autonomie locale, de dévolution, etc. toutes notions qui s’opposent radicalement à l’indépendance en ce qu’elles ne visent pas à éradiquer des relations entre entités, mais à les organiser afin de favoriser leur développement harmonieux.
Il serait certainement plus habile politiquement, plus rationnel et plus apaisant de la part du gouvernement central espagnol de proposer pour sortir de la crise « par le haut », de proposer à toutes les entités régionales qui constituent aujourd’hui l’Espagne d’ouvrir des négociations d’ensemble sur la répartition de leurs compétences respectives d’une part et de celles de l’État espagnol d’autre part. Au lieu de se crisper sur une souveraineté « nationale » intangible de plus en plus mal acceptée par certains qui finissent par récuser la légitimité d’un gouvernement central perçu comme dominateur, on refonderait une communauté d’intérêts et de destin grâce à une organisation fédérale respectueuse des particularités et des susceptibilités loco-régionales – les « identités » – par un mode de fonctionnement renouvelé.
De la part d’un gouvernement central, il faut certainement plus de courage politique pour faire une telle proposition, mais surtout plus de vision, plus de clairvoyance, bref plus d’« intelligence ». Face à ce qui semble sur le point de devenir un irrédentisme catalan, l’entêtement de Mariano Rajoy risque de l’entraîner avec son gouvernement vers un usage irréversible de la force et une issue catastrophique pour toutes les parties.
Dans un pays comme l’Espagne, constitué de régions historiques que la constitution de 1978 va même jusqu’à appeler « nationalités historiques », il vient spontanément à l’esprit que la solution durable est l’établissement d’une véritable fédération. Mais l’expurgation du centralisme franquiste est inachevée et cette constitution ne reconnaît que des régions aux statuts hétérogènes, dont elle ne donne même pas les noms. Au lieu d’utiliser la manière forte au risque d’un embrasement dont il ne saura se défaire, Monsieur Rajoy pourrait reprendre très élégamment la main en reconnaissant les insuffisances constitutionnelles actuelles. Et en proposant à toutes les régions une remise à plat respectueuses des spécificités locales et un renforcement équilibré des pouvoirs central et locaux, il sortirait par le haut du piège catalan dans lequel il est en train de s’enfermer.
Au départ de l’affaire, les Catalans ne demandaient pas l’indépendance pour l’indépendance. Il est peut-être encore temps de calmer les esprits et de canaliser les mécontentements. Qui peut aujourd’hui proposer ses « bons offices ? »
Cette question du gouvernement local ne se limite d’ailleurs pas à l’Espagne. Elle avait été abordée (a minima) par le Conseil de l’Europe avec sa Charte européenne de l’autonomie locale (mal nommée : son titre anglais – European Charter of Local Self-Government – est plus adapté) STE 122, ignorée des fédéralistes. La France, après l’avoir ratifiée (à l’instigation de Michel Barnier) non sans débats nourris, l’a ensuite royalement ignorée pour la loi NOTRe. Elle a du reste reçu un blâme officiel du Conseil de l’Europe pour cela.
Les fédéralistes devraient s’abstenir de voler au secours des gouvernements centraux qui s’accrochent à des pratiques constitutionnelles et politiques d’un autre âge. Nous brandissons le drapeau de la subsidiarité, nous devrions exiger qu’elle soit respectée par l’adoption de constitutions vraiment fédérales par tous les États membres pour lesquels cela est pertinent, notamment en France, en Espagne, en Italie, etc.
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