Donnons aux régions et aux départements les pouvoirs d’être élus
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
Les résultats des élections régionales et départementales montrent à l’évidence une profonde déconnexion entre les enjeux locaux et le choix du bulletin de vote par les électeurs et les électrices. Avec les prochaines échéances nationales et européennes, c’est l’occasion de débattre en France des pouvoirs que nous voulons réellement confier à nos départements et à nos régions.
Des enjeux nationaux ont polarisé les débats des régionales et pris une place centrale dans les discours de nombreux candidats, alors que les régions n’ont que des compétences résiduelles en matière de sécurité par exemple. Régions et département ont par contre des responsabilités déterminantes en matière de transports, d’action sociale, de formation ou de développement économique, autant de questions absentes des débats pendant cette campagne électorale reléguée au rang de répétition de l’élection présidentielle de l’année prochaine.
On ne peut se satisfaire de cette situation qui place la totalité de l’action publique sous le prisme de l’actualité nationale et rompt le lien entre les citoyens et ceux qu’ils ont élus pour mettre en œuvre des politiques locales. Or c’est bien au niveau local que des décisions sont prises qui peuvent avoir des impacts concrets et rapides sur la vie de ses habitants.
Pourquoi cette déconnexion presque totale entre les citoyens et les pouvoirs locaux en France ? Depuis plusieurs décennies, la France s’est pourtant engagée dans un vaste mouvement de décentralisation qui a confié sans cesse de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, tout en limitant drastiquement le contrôle de l’État sur l’action publique locale. C’est certes moins spectaculaire que chez beaucoup de nos voisins européens, mais la montée en puissance est indéniable dans un pays pourtant historiquement centralisé.
L’une des principales difficultés réside dans la totale illisibilité des compétences exercées par les collectivités territoriales, qui les partagent les plus souvent avec d’autres échelons et avec les services de l’État. Par ailleurs, très souvent ces compétences font l’objet de contractualisations complexes et encadrées, avec des financements croisés qui déresponsabilisent complètement les partenaires et fragilisent les projets, par exemple en matière de prévention de la délinquance ou de projets culturels.
Qui lit vraiment les norias de logos qui émaillent les affiches présentant les nombreux projets publics qui fleurissent dans nos villes et nos campagnes ? Qui comprend en réalité qui fait quoi et pourquoi ? On ne peut demander aux électeurs et aux électrices de devenir des spécialistes de l’action publique pour décoder un système totalement incompréhensible. Et on comprend donc parfaitement pourquoi ils adoptent une clé de lecture nationale pour des élections locales aux enjeux illisibles, ou s’en désintéressent complètement.
En tant que fédéralistes, nous pensons que l’exercice de chaque compétence doit être confié à l’échelon pertinent le plus proche du citoyen, selon le principe de subsidiarité. Chaque compétence doit par ailleurs être exercée pleinement par chaque collectivité responsable, voire de la manière la plus autonome possible pour être efficace et démocratique. Ce qui n’empêche pas la suppléance, c’est-à-dire le soutien de l’échelon supérieur, par exemple de l’État, si la collectivité ne peut affronter ou gérer seule une difficulté ou une crise.
Aujourd’hui, 40% de la population mondiale vit dans un pays fédéral. Petits ou grands, sur les 5 continents, ces États confient des compétences clairement délimitées et l’autonomie nécessaire pour les exercer. Si en France notre histoire ne nous permet sans doute pas de réaliser ce saut fédéral à court terme, souvenons-nous tout de même que notre fête nationale du 14 juillet commémore en fait la première fête de la Fédération. Le 14 juillet 1790, cet événement a célébré le premier anniversaire de la prise de la Bastille, sur le Champ-de-Mars, à Paris. Et depuis, nous nous rassemblons chaque année autour de ces valeurs. Il s’agissait à l’époque de consacrer l’union des provinces françaises, dans le respect de leur diversité, pour donner corps à une France réconciliée mais fière de ses différences.
Une approche plus fédérale de l’action publique en France permettrait donc, contrairement aux idées reçues, de renouer avec l’esprit de 1789 et l’identité fondatrice de notre pays.
Nous pourrions ainsi mettre à profit l’approche des élections législatives et présidentielle, et de la conférence sur l’avenir de l’Europe, pour évaluer l’opportunité de confier aux régions et aux départements de réels pouvoirs à même de mobiliser leurs concitoyens. La fédération permet de dépasser la décentralisation et la déconcentration, qui ont clairement montré leurs limites en matière de vie démocratique et d’efficacité de l’action publique.
On reproche souvent à la construction européenne de ne pouvoir s’appuyer sur un “demos” européen. N’en va-t-il pas de même avec les départements et les régions qui souffrent également d’une totale illisibilité de leur action, et dont on cherche encore le “demos” ?
Pour remédier à cela, les fédéralistes réclament en France la même chose que dans la plupart des pays du monde, et pas seulement les plus fédéraux d’entre eux. Il reste actuellement deux compétences majeures qui ont un réel impact localement, susceptible de mobiliser les habitants et le débat politique local, et qui sont très mal exercées depuis Paris : l’éducation et la sécurité.
En France, qui sait que les régions, les départements, les communes, gèrent le matériel et l’immobilier, respectivement des lycées, des collèges et des écoles primaires, alors que les enseignants correspondants sont gérés par les services de l’État ? Les uns sont censés créer et entretenir des classes, des écoles, les autres affecter et rémunérer les enseignants, dans une machine infernale et impersonnelle de ressources humaines à l’échelle de près d’un million de personnels d’État. Allons jusqu’au bout, comme partout ailleurs, et décentralisons l’éducation. Bien entendu, les programmes, les examens et les diplômes devraient rester dans le giron de l’État, pour garantir l’égalité des élèves dans leur parcours.
De la même manière, la sécurité publique devrait être exercée au plus près des territoires, pour garantir une meilleure connaissance réciproque des forces de l’ordre et des acteurs de terrain, gage d’efficacité et d’une approche plus humaine et approfondie de ces questions cruciales pour la population, comme l’a démontré récemment la séquence des régionales. Là encore, il n’est pas question de ne pas garantir nationalement des normes en matière de doctrine d’emploi ou de lien avec les juridictions. L’État pourrait ainsi se recentrer sur la grande criminalité, les trafics complexes, ou le cyber-espace, qui dépassent par nature les limites locales et régionales.
L’élaboration des programmes pour les présidentielles et les législatives de 2022, et la conférence sur l’avenir de l’Europe, sont des occasions de débat à ne pas manquer, pour enfin apporter des solutions concrètes face au fossé qui se creuse inexorablement entre les citoyens et leurs représentants. Osons donner aux régions et aux départements les pouvoirs d’être élus et de rendre des comptes à des citoyens concernés et donc impliqués dans la vie démocratique.
Emery Cloots, militant fédéraliste
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