L’Ukraine et le saut fédéral européen
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
L’escalade militaire en Ukraine et la nécessité de renouveler les accords de sécurité en Europe sont des révélateurs puissants des limites actuelles de l’action diplomatique des pays européens et de l’Union européenne. Avec l’arrivée assumée par Moscou des chars russes en Ukraine, l’Union et ses membres ne peuvent de toute évidence faire face aux défis pour assurer la sécurité et la paix en Europe. Avec un partenaire incertain de l’autre côté de l’Atlantique, le saut fédéral européen en matière de diplomatie et de défense est la condition pour pouvoir peser sur notre destin.
Si un pas a été franchi, la tension avec la Russie de Poutine est endémique, depuis notamment l’annexion de la Crimée et les sanctions européennes qui ont suivi. On se souvient par exemple, il y a un an, de l’humiliation infligée au haut représentant de l’UE pendant sa visite à Moscou, lors de laquelle des diplomates européens ont été expulsés.
Face à ces défis redoutables, l’UE est perçue comme étant incapable de défendre ses intérêts et la paix. Sans que cela soit toujours convenablement perçu, l’Union européenne tente pourtant d’assurer progressivement une meilleure cohérence de sa diplomatie. Mais cela reste une diplomatie intergouvernementale qui souffre cruellement de son manque d’autonomie face aux Etats membres, contrairement, justement, aux fédérations états-unienne et russe.
Le président russe poursuit à l’évidence son objectif de diviser pour mieux régner en Europe. C’est la raison pour laquelle il a adressé début février à chacun des 27 Etats membres des courriers avec des contenus différents pour chacun. Au-delà de la volonté d’interdire une réponse au niveau européen, le message du pouvoir russe consistait à montrer que l’UE ne dispose pas de légitimité en la matière.
Ces efforts de division sont tombés à plat. Une seule lettre de réponse, signée par le haut représentant de l’Union Josep Borrell, et coordonnée avec l’ensemble des partenaires européens, est parvenue le 10 février au chef de la diplomatie russe.
La formulation et la mise en œuvre d’une véritable politique extérieure pour l’UE n’ont jamais été jusqu’ici une évidence. Nos États membres ont des histoires et des intérêts différents, et ont connu dans le passé des échecs flagrants. Il suffit de se remémorer la paralysie lors des opérations américaines en Irak en 2002, les lacunes européennes lors des conflits dans les Balkans dans les années 90, ou plus récemment, en Afrique dans la lutte contre le terrorisme.
Depuis quelques décennies, le “soft power” européen avait toutefois montré une certaine efficacité, en Amérique latine, dans certains pays d’Asie, en Afrique du sud, pour la démocratisation et la résolution des conflits. Mais cela est sans doute resté trop marginal, et l’UE est aujourd’hui contrainte de changer de paradigme en matière de diplomatie et de défense. Que ce soit localement sous la coordination des ambassades de l’UE et des Etats membres, ou dans les réunions quasi journalières du comité politique et de sécurité, l’information circule, les prises de position communes s’affinent, et la confiance mutuelle s’accroît. Les rapports et les renseignements sont mutualisés, et cela facilite la définition de stratégies et d’actions beaucoup mieux coordonnées.
Depuis le traité de Maastricht, et surtout le Traité de Lisbonne, la diplomatie européenne gagne progressivement en maturité. De plus en plus, elle incarne la nécessité pour les européens de parler le même langage, celui de nos valeurs. “Nous nous sommes rencontrés, nous avons parlé européen”, remarquait Briand, après la rencontre de Locarno avec son homologue allemand Streseman, devant l’Assemblée nationale en 1926.
Des outils de meilleure coordination ont été mis en place, facilitant l’émergence du langage commun cher à Briand. Il s’agit de la création d’un service européen pour l’action extérieure avec 136 ambassades de l’UE dans le monde, d’un haut représentant assurant la liaison entre la Commission et le Conseil, ou des dialogues permanents et comités politiques en matière de politique étrangère et de défense.
Mais dans le système intergouvernemental actuel, la représentation extérieure de l’UE reste morcelée et fragile. Le président du Conseil, la présidence tournante, le haut représentant, les 27 Etats membres, ont tous la possibilité de s’exprimer et prendre position. Le défi est d’éviter la cacophonie qui affaiblit l’Union et donc ses membres. Il est ainsi impératif qu’ils parlent, face aux interlocuteurs menaçants ou aux alliés, le même langage.
Le président Macron, le chancelier Scholz et d’autres ont essayé de faire preuve de cohérence et d’ambition européennes. L’importance des défis permet certainement de mieux souder les Etats membres, dans une union plus à même de garantir la souveraineté que chaque pays individuellement. Mais la méthode intergouvernementale a encore une fois montré ses limites. Elle aura été insuffisante pour dissuader Moscou de violer à nouveau l’intégrité territoriale d’un pays souverain, en contradiction totale avec la Charte des Nations Unies dont l’URSS était pourtant un membre fondateur.
La possibilité d’un conflit majeur à ses portes conduit l’Union à s’affirmer peu à peu comme un acteur diplomatique à part entière. C’est encourageant mais totalement insuffisant dans la situation extrême de tensions actuelles, et de graves risques à venir pour la paix et la sécurité en Europe. Par ailleurs, à tout instant, l’Union peut être soumise au chantage d’un Etat membre influencé par des acteurs externes ou des intérêts particuliers.
Les vents d’Est nous obligent à accélérer la création d’une véritable politique extérieure, commune et donc efficace, légitime et donc acceptée par les citoyens et les Etats membres. C’est tout l’objet d’un saut fédéral pour l’Europe en matière de diplomatie et de défense. Cela impliquera nécessairement de lever la règle de l’unanimité des Etats membres et de confier ces responsabilités au Parlement représentant les européens et les européennes. Un véritable changement systémique sur la nature même de l’Union européenne, indispensable pour pouvoir peser face aux fédérations russe et états-unienne.
Si les Etats membres veulent assurer leur liberté d’action, la paix et la sécurité de leurs concitoyens en respectant les valeurs démocratiques européennes, la question fédérale s’imposera à eux. Tôt ou tard. N’attendons pas qu’il soit trop tard.
Michel Caillouët
Responsable du Conseil scientifique de l’Union des Fédéralistes Européens - France (UEF France)
Ancien Ambassadeur de l’Union Européenne à Bangkok et New Delhi
Emery Cloots
Membre de l’Union des Fédéralistes Européens - France (UEF France)
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