Les difficultés de l’idée et de la pratique fédérales aux États-Unis : quelles leçons pour les fédéralistes européens, ou d’autres fédérations dans le monde ?
Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.
Les récentes décisions de la Cour suprême américaine remettant en cause des droits acquis au niveau fédéral conduisent Michel Caillouët, président de l’UEF Sud, à proposer une réflexion sur le fédéralisme alors que la question des rapports entre Union européenne et Etats membres se pose dans de nombreux domaines dans la perspective de la refonte des traités européens.
Pour de nombreux fédéralistes, les Etats-Unis sont souvent perçus comme le modèle, la source d’inspiration, souvent unique. On parle ainsi, lorsqu’enfin en Europe on arrive à progresser, de « moment hamiltonien », en référence à l’un des pères de la constitution américaine.
Mais les perceptions positives vacillent : la Cour suprême, l’une des institutions de base du système politique américaine, vient de prendre des positions drastiques et met à mal la relation Fédération-États fédérés : pour le droit à l’avortement, l’environnement, mais aussi le droit des populations indiennes, le refus des restrictions des armes à feu, la neutralité religieuse dans les écoles, la contraception, le contrôle judiciaire de découpage électoral… La liste est longue et risque sans doute de s’enrichir ?
La Cour suprême des Etats-Unis, créée par l’article III de la constitution américaine, est l’institution fédérale la plus puissante, et peut statuer en dernière instance pour toute affaire portée devant elle. Mais la pratique, notamment la plus récente, montre qu’elle ressemble davantage à un Parlement, sans l’onction populaire, qu’à un tribunal indépendant. Elle sanctifie le « pouvoir des juges », selon l’expression de J.E Schoetti, dans « La démocratie au péril des prétoires ».
Les récentes décisions de la Cour suprême ne font que traduire les graves tensions sociétales qui fracturent la Nation américaine. Les tendances les plus conservatrices, avec les nominations par D. Trump de 3 juges ultra-conservateurs , se transforment maintenant en intégrisme juridique. Certains ont pu faire remarquer que cela traduit le triomphe de la doctrine dite « originaliste », qui fait fi des textes constitutionnels et des nombreux amendements parmi les 27 promulgués depuis plus de 200 ans, et qui traduit un retour vers les doctrines remontant à l’époque de la colonisation britannique.
La constitution fédérale américaine ne protège plus, ou trop peu
Le modèle fédéral est, on en convient, le plus apte à mieux définir les contours et relations entre les différents pouvoirs, et à permettre un dialogue et des interactions vertueuses entre centre fédéral et États fédérés. Mais cela peut-il se réaliser aux dépens des droits humains fondamentaux ?
On s’aperçoit dorénavant que la Constitution américaine, dans sa forme actuelle, présente de vastes lacunes.
Quelles leçons les fédéralistes européens, ou mondiaux, doivent-ils en tirer ?
Bien sûr, comparaison n’est pas raison.
Chacun sait que le processus européen d’intégration est « sui-généris », unique, pragmatique. Il peut et doit s’inspirer des bonnes expériences, mais aussi extirper les mauvaises.
D’ores et déjà, des prémices de fédéralisme ont été créés et fonctionnent, la banque centrale européenne, la cour de justice européenne, le parquet européen…
Tout est évolution, et l’espace européen a, depuis 1951, connu et expérimenté sept traités. La fédération américaine a pour sa part décidé de 27 amendements constitutionnels depuis plus de 200 ans, mais l’application de certains sont donc maintenant mis en cause par la Cour suprême.
Hormis les principes démocratiques au sens large, les pratiques européennes et américaines divergent assez profondément, au niveau des valeurs, et il est, par contraste avec les dérives américaines, impératif de sanctuariser l’ensemble des valeurs européennes, telles que celles notamment reprises dans la « Charte européenne des droits fondamentaux ». A titre d’exemple, l’article 19 prohibe l’application de la peine de mort sur l’ensemble du territoire de l’Union Européenne.
Il convient de définir les valeurs à protéger et consolider dans le cadre des changements de Traité à venir, par le dialogue et le compromis.
Ce pourrait être le cas pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dont la pratique est largement majoritaire en Europe, les seules exceptions étant la Pologne et Malte, l’Irlande, longtemps réfractaire, ayant maintenant évolué sur le sujet.
Mais aussi, sur base de bonnes pratiques conformes à notre génie propre, établir des règles souples, pour les compétences, européennes, nationales, locales, de la future fédération, et, sans doute, éviter les contrôles de constitutionnalité trop intempestifs. Nous n’avons sans doute pas besoin d’une Cour suprême européenne ?
Une inspiration évidente est celle qui qui nous vient de Céline Spector, membre du Conseil Scientifique de l’UEF France, dans son ouvrage “No Demos ?” : il existe d’évidence des « biens communs » , dont la gestion doit relever d’une politique commune intégrée, fédérale : la sécurité, l’environnement, la solidarité… Aux européens de trouver les voies et moyens, par consensus entre les différents niveaux de pouvoir, européen, national, local, d’une construction institutionnelle adéquate, pour assurer une pleine efficacité pour ces politiques tellement importantes pour l’indépendance et la puissance européenne, en garantissant un contrôle politique citoyen adéquat.
Ce qui se passe aux Etats-Unis, avec l’activisme de la Cour suprême, est inquiétant. Soyons collectivement vigilants en Europe, et construisons le système fédéral qui correspond à nos volontés, expériences et savoir-faire.
La tâche est et restera difficile, avec le poids connu des souverainistes ou nationalistes, qui d’ailleurs, s’inspirent, eux, souvent, des dérives américaines. Sachons, par notre militantisme et notre conviction, les contredire, et amener nos citoyens à agir dans la bonne direction.
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